A l’heure où la course aux soutiens bat son plein pour l’élection présidentielle, Carlo Goldoni vient mettre le point sur son « i ». Celui qui au 18e siècle a fait tomber les masques de la comédie italienne s’impose au cœur de la capitale pour mettre en garde contre les dérives de la dépense excessive. Vivre au-dessus de ses moyens est un vilain défaut nous assène-t-il.
De tous bords les candidats d’aujourd’hui prennent la balle au bond, jusqu’au président sortant qui le dernier a avancé devant un pays entier rassemblé devant la petite lucarne que « nul ne peut s’exonérer d’un effort de discipline budgétaire ». Pour l’espoir il faudra repasser. Cette rigueur qui dit encore timidement son nom, Carlo Goldoni la porte sur un plateau (de fer blanc) aux prétendants à l’Elysée.
L’auteur italien s’est adjoint les services d’Alain Françon à la mise en scène. Pour l’interprétation, rien de moins que la troupe de la Comédie Française, pourtant pas avare des deniers publics. Le lieu de la démonstration, le luxueux Théâtre Ephémère construit au milieu des colonnades du Palais Royal, qui verra défiler pendant un an les spectacles du théâtre, pile sous les fenêtres du ministre de la Culture.
Support de la leçon, La Trilogie de la villégiature. 4h30 de dérives de la bourgeoisie pour une entrée au répertoire de la vénérable institution. Et figurez-vous qu’on en reprendrait bien encore une louche, tant ce spectacle est un délice. Carolo Goldoni nous fait sévèrement la morale en nous transportant du rire aux larmes. Soit une bande de bourgeois de Livourne qui n’ont qu’une obsession, la villégiature. A Montenero en l’occurrence. Qu’importe la montagne de dettes, les affaires qui périclitent, il faut se montrer pour épater le voisin et feindre le bonheur tout au long de journées dévolues aux plaisirs futiles. Les jeunes femmes se doivent d’être à la prochaine mode, harcelant le tailleur pour finir à temps une nouvelle robe que ce rustre a le toupet de vouloir se faire payer. Chez elles, il n’y a qu’une mode qui tienne d’une année sur l’autre, celle de dépenser.
Contre l’ennui de la villégiature, les bourgeois jouent aux cartes, comme un symbole de l’argent qui va et qui vient et qui va secouer tout l’édifice. La pièce est tour à tour drôle et légère puis sombre, l’auteur nous entraîne dans la chute de ces inconscients.
Au service de cette gourmandise, les comédiens s’en donnent à cœur joie. Ils sont excellents naturellement, on peut s’y attendre mais c’est un grand plaisir de spectateur. Pas moins de neuf Sociétaires (les officiers de la maison) notamment nous émerveillent, parmi lesquels Michel Vuillermoz en génial pique-assiette, Eric Ruf en valet lucide, ou Bruno Raffaelli en vieux sage (oui, il y en a un tout de même qui n’est pas perverti par l’argent). Tous sont remarquables. L’interprétation est mise en valeur par des décors et des costumes charmants. La Comédie Française ne se refuse rien en effet, jusqu’à la discrète course sur scène du soleil toscan tout au long de la journée ou encore grâce à la douce mélancolie d’un violon.
Cette pièce de Carlo Goldoni en campagne à la campagne est un joyau. Un véritable petit bijou, pas de pacotille. Pour le théâtre, on ne rechigne pas à la dépense, n’est-ce pas ?
Il y a déjà fort longtemps, j’avais aimé la trilogie en regardant une retransmission à la télé, alors là je n’ai plus qu’à courir chercher des places!
Les photos donnent très envie