Curieusement, le musée Rodin a consigné dans une pièce à part, «les figures de l’indécence» soit un certain nombre de dessins érotiques réalisés par Auguste Rodin. A bien regarder le reste de l’exposition, on peut se demander avec quels critères les autres dessins, à quelques exceptions près comme «les danseuses cambodgiennes» qui ne sont pas vraiment déshabillées, oui, avec quels critères ont-ils échappé à cet étiquetage finalement flatteur?
Rodin le sculpteur, a réalisé sur la dernière période de sa vie, des milliers de dessins, conservés pour la plupart au musée qui porte son nom. L’exposition est divisée en 15 séquences et, disons-le sans ambages, la majeure partie d’entre elles est une déclinaison presque saturante de corps féminins exhibés dans des poses transgressives, suggestives et donc indécentes. Drôle d’époque qui dans le même temps, expose et encense, interdit et punit, l’indécence.
Quoiqu’il en soit, Auguste Rodin s’impose comme un maître dans ce domaine. Même certains modèles que l’on devine disgracieux se voient transfigurés par le crayon et les touches d’aquarelles de ce dessinateur hors du commun. Quand Rodin se limite à suggérer une pose érotique, il s’en dégage autant de force que lorsqu’il surligne avec une puissance compulsive, une force délibérée, le tracé d’un sexe féminin. Par l’emploi de couleur sanguines, il contraint en outre le regard, à se poser là où la pudeur saigne.
Nous sommes ici en face d’un trajet aussi obsessionnel que magnifique. Rainer Maria Rilke indique dans son livre sur le sculpteur, combien Rodin était tout entier à son travail, laissant peu de place aux loisirs. Le poète de langue allemande a bien compris la signification de l’oeuvre de Rodin lorsqu’il écrivait : «Ici étaient les vices et les calomnies, les damnations et les béatitudes, et l’on comprenait soudain comme devait être pauvre un monde qui cachait et enterrait cela, et faisait comme si cela n’était pas». Mais, «cela était».
Pour parler du travail de Rodin, Rainer Maria Rilke évoque en outre la «pulsion» originelle qui devient «aspiration» grâce à l’artiste, une «concupiscence» entre homme et femme qui se transforme en «demande d’humain à humain» sous le burin et le crayon de Rodin. Et d’ajouter que désormais «la femme n’est plus la bête domptée ou docile. Elle a la même ardeur et la même vigilance que l’homme… ».
Passée la première dizaine de dessins, ce qui frappe quand même, c’est le talent de Rodin à transposer la féminité, à instiller le désir et même à servir une forme de romantisme mâtiné d’élégance. Voilà enfin ce que l’artiste sait «saisir» pour reprendre le très juste verbe qui compose le titre de l’exposition, voilà cette indécence qu’il restitue avec brio, cette sensualité qu’il colorise avec des transparences parfaites pour mieux la mettre en valeur.
Les «figures de l’indécence» sont donc parquées dans une petite salle bleue, les autres dessins à l’instar du «couple saphique allongé», la «femme nue agenouillée et renversée en arrière», la «femme nue allongée aux jambes écartées» sont accrochées en revanche dans les salles que la morale approuve… Allez comprendre. Il est permis de sourire sans toutefois se moquer car cette exposition est une réussite. Le génie de Rodin y est irradiant et la profusion de sa production nous comble jusqu’à…l’indécence.
Jusqu’au 1er avril 2012. Le Musée Rodin, 79 rue de Varenne. 75007 Paris. (De 10h à 17h45, dernière entrée à 17h15).
Les images publiées sont sages, tant mieux, nous jugerons du reste sur place.
J’ai vu l’exposition, je lis ton commentaire Philippe, il décrit mon ressenti mieux que je ne pourrais le faire.
Juste une interrogation sur les fameuses danseuses cambodgiennes non dévêtues. Elles ont des terminaisons inachevées (les mains notamment, pourtant si importantes dans la danse). On dit que Auguste Rodin laissait à Camille Claudel le soin de sculpter les mains de ses personnages…
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