Le solfège multicolore de Paul Klee

L’exposition organisée autour de Paul Klee à la Cité de la Musique Porte de Pantin présente une particularité étrange et sûrement imprévue. Un parcours musical permettant de «rentrer plus avant dans l’univers sonore du peintre» nécessite en effet le port d’un casque distribué à l’entrée. Résultat, le seul bruit qu’entend le rare visiteur ayant choisi de ne pas porter de casque, c’est le grincement du plancher provoqué par les pas de ceux qui se sont coiffés d’écouteurs. Monophonie étrange alors que le propos scénographique se veut justement polyphonique. 

Ceci est l’aspect anecdotique d’une manifestation excentrée, qui vaut largement le détour puisque par son volume, elle représente la première rétrospective parisienne réalisée autour de Paul Klee depuis 25 ans. 130 œuvres du peintre suisse sont ainsi livrées au regard, sans compter celles de Delaunay ou de Kandinsky qui viennent en appoint pour éclairer le contexte dans lequel évoluait l’artiste. Formidable exposition disons-le très nettement qui vient attester une fois de plus de la vitalité d’une expression moderniste dont les protagonistes ont pourtant disparu. 

Buntes Beet, 1923 (Parterre multicolore) © Zurich, Kunsthaus

La présence d’un violon Testore de 1702 que Klee a acquis en 1903 est notamment là pour illustrer que ce fils de musiciens, ayant pratiqué le violon dès 7 ans, s’étant produit sur scène, a hésité avant d’embrasser une carrière de peintre. Pour lui la musique était «une bien-aimée ensorcelée» tandis que l’expression graphique se voyait assimilée à une «déesse du pinceau au parfum d’huile ». On dit que les hommes ne savent pas choisir entre deux femmes mais, entre deux mondes artistiques, Klee a fini par trancher au retour d’un voyage en Tunisie en 1914. Il proclamera  «je suis peintre» ce qui n’est pas sans rappeler une affirmation connue du fondateur des Soirées de Paris, Guillaume Apollinaire.

Artiste hybride parce que resté musicien dans l’âme, Klee s’essaiera à transposer la notion de polyphonie à la peinture avec des œuvres dont le titre est sans ambiguïté comme «fugue en rouge» ou encore «harmonie de quadrilatères en rouge, jaune, bleu, blanc et noir». C’est une sorte de tour de force que d’incorporer dans la peinture  un solfège intime, frustré de liberté, privé d’expression, coincé dans le for intérieur de l’artiste. 

Foin du contexte historique et intellectuel, venez donc prendre un bain de couleurs chez ce génie de la juxtaposition, de la figuration conceptuelle. Certes il n’était pas le seul dans ce cas-là mais son inspiration personnelle, une certaine inventivité également, enchantent. Son incroyable château fort, son parterre multicolore, les jeux subtils de lumière de son aquarelle sur carton (das Licht und die Shärfen, qui fait la couverture du catalogue) séduisent, comme ils témoignent d’une forte maîtrise technique. 

Klee est de passage à Paris. Il est comme certaines comètes qui mettent des années à traverser de nouveau notre champ de vision. Allez-y. 

 «Paul Klee Polyphonies». Jusqu’au 15 janvier. 

Paul Klee Das Licht und die Schärfen, 1935 © Berne, Zentrum Paul Klee (Peter Lauri, Berne / ABMT, Universität Basel)

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