Le cheval de Turin s’accompagne d’un verre de palinka

On raconte que, voyant un cocher battre cruellement son cheval, l’homme se serait approché, aurait pris la tête de l’animal dans ses mains et aurait éclaté en sanglots. Il ne restera plus dès lors qu’une dizaine d’années de démence et de vie à Friedrich Nietzche. Qu’est-il advenu du cheval, nul ne le sait.

Ainsi commence «Le Cheval de Turin» le dernier film de Béla Tarr, cinéaste hongrois redoutablement majeur. Sept chapitres correspondant à sept jours composent cette histoire qui relève moins du récit de la création du monde mais bien plutôt de sa lente agonie, de sa disparition.

L’hallucinant plan-séquence qui ouvre «Le cheval de Turin», donne d’emblée le ton. L’écriture (la maîtrise du cadre) dans ce plan comme dans le reste du film est tout simplement éblouissante. Et le tempo: le film est composé comme une partition, sur fond d’une musique élégiaque obsédante, signée Mihaly Vig. Orgue et violoncelle murmurant un thème qui reviendra tout au long du film et qui rappelle Rachmaninoff, dans ce qu’il a écrit de plus noir ou de plus russe.

Un vieux cheval de bataille tire un chariot sur lequel tangue un homme âgé, visage osseux, longue barbe et cheveux blancs au vent. Il s’agit moins du retour du père prodigue que d’une retraite, de l’ultime voyage d’un homme vaincu vers sa dernière demeure.    

Désormais tout se jouera à huis clos dans une modeste ferme abritant les trois personnages principaux, le père, la fille, le cheval. Les deux premiers demeurant comme enfermés dans l’insignifiance des gestes quotidiens, répétés inexorablement, se lever, s’habiller, boire un verre de palinka (eau de vie hongroise) pour le courage ou le vertige, rallumer le feu, aller chercher de l’eau, manger avec ses doigts une unique pomme de terre, s’asseoir devant la fenêtre comme pour prier une idole sourde parce que morte, et se coucher.

Face à ce récit épuré à l’extrême, à ces personnages presque transparents, le monde extérieur, les éléments vont prendre une importance majeure dans le film. Et c’est l’homme (l’humanité) qui peu à peu va devenir étranger, comme rejeté, pour ne pas dire «recraché» du monde. En premier lieu le cheval refusera de travailler, d’avancer. L’animalité porteuse de l’Annonce du déclin. Puis la tempête, l’omniprésence du vent, la disparition de l’eau dans le puits, enfin la mystérieuse extinction de la flamme de la lampe, la perte de la lumière.

Apocalypse sans aucune promesse de royaume, le film peut sans doute se regarder, avec des lunettes nietzschéennes, entre autres pistes exploratoires de son extrême densité. La fin du monde vient avec l’avènement du «dernier homme». Ce rejeton d’un nihilisme nocif, sans dépassement ni but, celui dont le philosophe disait, «Malheur ! Voici le temps où l’homme ne peut plus donner le jour à une étoile qui danse».

 «Le Cheval de Turin» Film hongrois de Béla Tarr (2h26) sorti le 30 novembre 2011.

A signaler une rétrospective de l’œuvre du cinéaste au Centre Pompidou jusqu’au 2 Janvier.

Ainsi que la parution aux éditions Capricci de «Béla Tarr, Le temps d’après» du philosophe Jacques Rancière, 7,50 euros.

 La bande annonce sur Allo Ciné  

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