C’est une fois dans la cave que l’Hédoniste a flairé le piège. Il était entré au De Vinis Illustribus à la recherche d’un Margaux 1946 que jamais il ne trouva. « Les vins de cette année-là n’ont pas tenu », lui avait dit le patron. Le néophyte l’ignore, ça, voyez-vous, il se jette sur n’importe quel vieux millésime en croyant flairer l’Olympe et débouche une piquette sans corps.
Il était entré au De Vinis sur la pointe des pieds, profil bas, car ce genre d’endroit intimide : un caviste à l’ombre chic de la Montagne Sainte-Geneviève, spécialiste en raretés, capable de vous vendre un Cognac Fine Champagne de 1811 (à 2.900 euros !) où le Napo lui-même a trempé ses lèvres impériales, tient du club privé pour meilleurs sommeliers du monde.
Et puis aujourd’hui tout le monde joue les œnologues amateurs, car le vin c’est la France, et en France, pays de poètes, ne pas savoir chanter le vin, c’est siffler la Marseillaise un soir de Coupe au Stade.
Au début aussi, l’Hédoniste se croyait obligé de trouver dans un verre de Saint-Julien des notes de vanilline, de graphite, de chêne grillé et de pierres concassées, alors qu’il aurait seulement voulu dire : « c’est du bon ».
Mais le patron du De Vinis, un ancien cadre dans l’industrie qui a monté la boutique dans les années 90 en apportant sa cave personnelle de 5.000 bouteilles, sait mettre à l’aise les petites bourses comme les grandes, les petits joueurs comme les champions.
Lionel Michelin qui a élaboré sa propre grille de notation, fruit de 40 ans de dégustation, extrait de ses anecdotes le ratage d’un grand Bordeaux, seule victime d’un excellent millésime dont les vignes avaient été l’objet de la vaporisation d’un pesticide passé dans le moût, du temps où une bonne bouteille ne coûtait pas un bras.
Et puis il a fait descendre l’Hédoniste à la cave. Corton 29, Chasse-Spleen 55, Charme Chambertin 89, rien que du beau linge. Quand soudain, là, dans le casier 69, l’Hédoniste a vu une bouteille qui ne ressemblait en rien aux autres. Cuvée Sidi Brahim rouge…
Quoi, du Sidi Brahim à 160 euros ? LE Sidi Brahim, celui que le couscoussier du coin vous sert lorsqu’il ne reste plus de Cuvée du Président ou de Boulaouane ? L’Hédoniste allait ricaner, quand Lionel Michelin lui a expliqué l’affaire – une sombre histoire de vignes centenaires ayant échappé au phylloxéra, de coteaux plein soleil, de vieux millésimes d’avant l’arrachage des années 70, de dégustations à l’aveugle à la lueur des chandelles qui avaient trompé plus d’un spécialiste, d’un bouquet à renvoyer dans leurs buts tous les Bordeaux et Bourgogne soixante-huitards. Alors l’Hédoniste n’a rien dit et il est reparti. Un jour, il reviendra, en espérant que personne d’autre n’ait eu l’audace d’acheter sa bouteille de Sidi Brahim.
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