Projeté sur le mur, un œuf filmé sans sa coquille traverse le cadre de l’image, bientôt rejoint par un deuxième puis un troisième. L’œuvre s’intitule «3 soleils » car elle suit (ou précède) une scène où trois soleils jouent la farce de l’astre triple. Le projecteur fait crouii-crouii, il n’est pas certain que ce bruit lancinant soit prévu. L’exposition «Alien Theory» est active depuis le 22 septembre au Plateau et jusqu’au 20 novembre. Cette enclave du fonds régional d’art contemporain située dans le haut du 19e arrondissement dont les Soirées de Paris se sont déjà fait l’écho est située à un jet de pierre du parc des Buttes Chaumont.
Finalement la constance du Plateau à aligner des expositions au contenu pas facile est à saluer. C’est donc encore le cas avec deux artistes portugais, Joao Maria Gusmao et Pedro Paiva, qui conçoivent des séquences filmées à l’ancienne, truquées avec les moyens du bord, afin de faire œuvre poétique d’une part et, de lester chaque réalisation d’autre part, d’une notice philosophique dont chacun jugera l’utilité. En effet, il se dégage une poésie assez remarquable, proprement surréaliste, de la plupart des projections présentées, poésie assez bien servie par l’usage de pellicule cinématographique traditionnelle.
Les films sont lents ce qui suscite immanquablement des questions en attendant le propos j’allais dire le «pitch». L’on voit une table à tréteaux recouvertes de fruits et légumes et puis, lentement, un à un, les légumes décollent vers le ciel. Là commence et s’arrête la poésie. Puisque l’idée des deux artistes citant Diderot est de savoir si au fond «le monde est sur une table où en dessous», si les fruits et légumes qui sont sur la table font partie du monde où s’ils sont du «mobilier supplémentaire». Une réflexion plus encombrante que véritablement gênante mais chaque visiteur n’a peut-être pas le niveau requis pour apprécier cette abside philosophique et c’est peut-être le cas de l’auteur de ces lignes, vous l’en excuserez.
Il vaut mieux laisser son propre regard se laisser happer par la beauté du mouvement circulaire de ces jantes de bicyclettes superposées dans l’espace via plusieurs projecteurs. Il y a là une poésie astrale qui séduit. L’esprit peut s’évader et se laisser séduire par la joliesse de l’ensemble perpétuée par la bobine qui elle aussi, tourne sans fin sur son axe.
On peut retenir également des éventails un peu mystérieux qui apparaissent et disparaissent ou s’arrêter sur ce casoar (volatile à crête dure d’Amérique du Sud) qui entre dans un cadre paysagé, s’y promène, en sort, y entre à nouveau. Serait-il détenteur d’un pouvoir scénique comparable à celui d’un chaman ? La question est posée par les deux artistes
Selon le commissaire de l’exposition Xavier Francheschi, «si chaque œuvre de Gusmao et Paiva est sous-tendue par une pensée approfondie qui excède le seul domaine de l’art, s’ils multiplient à l’envi les références littéraires, ce qu’ils nous donnent à voir in fine n’a rien d’un discours théorique ou d’un jeu strictement citationnel».
D’un côté il y a ce prisme de la «théorie de l’étranger» qui peut servir tout à la fois de motivation pour aller voir cette exposition et de guide pour la découvrir et de l’autre, il y a la curiosité irréfragable du piéton parisien qui promène son regard amusé sur les choses les plus variées avec une absence amicale de préjugés pouvant conduire là aussi à pousser cette porte du Plateau et y piocher deux ou trois délices obscurs.
Trois oeufs sur le plat. Extrait de l’exposition « Alien Theory » filmé par les Soirées de Paris.
Bravo pour la video, la première (?) sur Soirées. On aime assez le « crouii crouii », qui donne aux 3 Soleils une touche parodique, Cosmos 1999 (série elle-même parodie involontaire des grands films sur l’espace) sur le plat…