C’est le très rude parcours de victime d’une monstrueuse erreur judiciaire. Ce fim réalisé par Vincent Garenq est aussi un quasi-documentaire sur le fonctionnement « in vivo » de notre justice pénale : violence d’une perquisition policière avec garde à vue, instruction menée exclusivement à charge, impudiques fouilles au corps et impudeur des interrogatoires de police judiciaire, absence de véritable contrôle hiérarchique sur les décisions prises par le magistrat instructeur , témoignages à tout le moins aléatoires, superbe assurance de l’avocat de la défense promettant à son client appel imminent et libération prochaine, promiscuité et inhumanité du séjour en milieu carcéral…
De ce film sur la réalité de l’affaire Outreau, on ressort laminé, avec des sentiments ambigus. On salue certes la performance des acteurs. Notamment celle (surtout physique) de Philippe Torreton dans le rôle d’Alain Marécaux, l’huissier de justice qui fit vingt trois mois de prison, entreprit quatre vingt dix jours de grève de la faim et fit trois tentatives de suicide avant d’être innocenté. A quarante-huit heures près, son pronostic vital était engagé… Pour incarner sa descente aux enfers, Philippe Torreton, surveillé par un nutritionniste, a d’abord du prendre du poids (Marécaux pesait près de 100 kg avant son arrestation) avant d’en reperdre ensuite (- 27 kg), ce régime yo-yo l’aidant à entrer dans la peau du personnage, au demeurant moins convaincant au bord des larmes qu’en colère. L’osmose entre le comédien et le juriste semble si parfaite qu’à les entendre sur les ondes assurer la promotion du long métrage, on est frappé par la similitude de leur timbre de voix et de leur phrasé haché.
Dans le rôle du juge Burgaud, Raphaël Ferret est saisissant. Il a la raide assurance du jeune magistrat instructeur tout droit sorti de l’Ecole nationale de la magistrature. Et qu’on vit toujours aussi rigide, mais cette fois décomposé, devant la Commission parlementaire d’Outreau. «Pas de place pour l’émotion dans une instruction», tel était le glaçant crédo de ce juge d’instruction trop novice pour une telle affaire.
Alors, d’où peut bien provenir le malaise éprouvé ? Du « prisme » Marécaux par lequel se déroule devant nos yeux l’affaire Outreau ? Marécaux s’accaparerait-il l’erreur judiciaire ? Le long métrage se focalise sur ce seul accusé, alors qu’ils ont été treize dans le box – ce nombre signant l’énormité de l’affaire. Mais l’accaparement n’a rien d’anormal si l’on considère que le réalisateur, Vincent Garenq, n’a fait qu’adapter au plus près l’autobiographie de l’huissier (« Chronique d’une erreur judiciaire« ) au demeurant présent (pesant ?) lors du tournage… « Le film ne m’a pas trahi, il n’en a pas rajouté », a commenté ce dernier à sa sortie. Pour Alain Marécaux, livre puis film relèvent à n’en pas douter de la thérapie – manière de se récupérer quand on a tout perdu : « Ils m’ont tout pris, mes enfants, ma femme, mon étude et ma mère est morte de chagrin », l’a-t-on vu sangloter devant les caméras avant l’heureux dénouement de ses deux procès d’assises (à Saint-Omer, puis en appel à Paris).
Le trouble ressenti provient alors de ce que le film prend soin de nous apprendre ce qu’est devenu Alain Marécaux (il a de nouveau prêté serment d’huissier de justice) sans évoquer, ne serait-ce qu’un peu, ce qui a pu changer depuis grâce à la Commission d’Outreau… et à la Cour européenne des droits de l’homme : meilleur recueil de la parole de l’enfant, présence de l’avocat dès la garde à vue, possibilité pour celui-ci de demander une expertise (possibilité alors réservée au juge d’instruction)… C’est dommage à l’heure où, depuis « l’affaire DSK », on oppose volontiers procédure accusatoire et procédure inquisitoire, le lapidaire de l’une ne valant guère mieux que l’exaspérante lenteur de l’autre. Si bien qu’on sort du film tétanisé à l’idée qu’en l’absence de véritable collégialité et responsabilité des magistrats, à quelque niveau que ce soit, Outreau – hélas – reste encore possible demain.