Le voici ce petit hôtel de France où Guillaume Apollinaire a séjourné en août 1913 avec quelques uns de ses amis. C’est à Villequier en Normandie, sur les bords de Seine, à mi-chemin entre Rouen et Le Havre.
Dans ses « Souvenirs sur Apollinaire » Louise Faure-Favier ne précise pas clairement l’objectif de ce séjour d’une semaine qu’elle avait organisé. En revanche les biographes du poète sont unanimes à dire que le but était une tentative de réconciliation entre Guillaume Apollinaire et l’artiste Marie Laurencin. Cette dernière lui avait été présentée par Pablo Picasso en mai 1907 chez le marchand de tableaux Clovis Sagot.
Louise Faure-Favier et Marie Laurencin étaient arrivées deux jours avant les autres et s’étaient installées dans cette petite maison équipée d’une terrasse dominant la Seine, l’hôtel de France, deux jours à se promener, «à coudre, à lire, à causer».
Le surlendemain de leur arrivée donc, elles s’étaient vêtues l’une d’une robe rose, l’autre d’une robe bleue, pour accueillir André Billy, l’infatigable ami et, Guillaume Apollinaire. Les deux hommes étaient venus à pied depuis Rouen soit au bas mot 50 kilomètres abattus en deux jours, pardessus sur le bras droit, parapluie à main gauche. Selon Louise Faure-Favier, Guillaume Apollinaire arriva en exprimant une joie toute relative à leur vue tellement son estomac sonnait creux.
Huit jours de bonheur selon Louise Faure-Favier au cours desquels ils furent notamment rejoints par René Dalize, l’ami d’enfance d’Apollinaire, de son vrai nom René Dupuy des Islettes. Quelques photos ont immortalisé ces instants si rares que l’on appelle souvent «parenthèses enchantées» et dont on ne prend véritablement conscience qu’après.
« Que d’heures exquises passées sur cette terrasse ombragée, écrit Louise Faure Favier, tandis que Marie Laurencin chantait de sa jolie voix de soprano sentimental des chansons de Paris, des airs de Mayol et celui-ci qui faisait la joie d’Apollinaire : Elle avait un jupon plein de trous, elle fréquentait des tas de voyous. »
Le site se prête effectivement à une réunion d’amitié et on imagine facilement leur séjour qui les conduisit entre autres excursions au pied de la belle église de Villequier où ont été inhumés les membres de la famille de Victor Hugo, dont Léopoldine, morte noyée à l’âge de 19 ans. Durant les repas généreusement servis et arrosés, il y fut incidemment question de la situation financière des Soirées de Paris, situation qui devait s’améliorer par la suite grâce à un certain Serge Férat, l’ami mécène, de son vrai nom Serge Iastrebzoff.
Les photos de Guillaume Apollinaire sont trop rares et il nous reste heureusement celle qui a été prise par un par un certain Marouteau, publiée dans le livre de Louise Faure Favier et où l’on peut constater que ce séjour dans la campagne normande ne les avaient pas conduits à abdiquer l’élégance habituelle de leur mise. On y voit ce fameux André Billy, journaliste et écrivain que l’on connaît si mal et qui vécut jusqu’en 1971.
La réconciliation entre Guillaume Apollinaire et Marie Laurencin n’eut pas lieu en dépit, selon Louise Faure Favier de «la page la plus lumineuse» de leur vie qui venait de se tourner. Trente années plus tard, Marie Laurencin dira à son ami Louise que l’opposition de sa mère et celle de la mère de Guillaume avaient joué un rôle pour le moins contreproductif dans cette réunion qu’ils appelaient pourtant l’un et l’autre et plus ou moins ouvertement de leurs vœux.
Mais Villequier est toujours là et la délicatesse générale du paysage ajoutée aux nuances des cieux normands se retrouve dans quelques vers écrits par Apollinaire. On dit au café tabac de ce petit village que les propriétaires actuels de ce qui fut l’hôtel de France songent à rouvrir quelques chambres en 2012. Année au cours de laquelle les Soirées de Paris fêteront leur renouveau et leurs cent années d’existence. Ce pourrait être une idée d’aller là-bas, pour la célébration, autour d’un canard à la rouennaise tel que Guillaume Apollinaire s’y fit servir. Et qu’il dévora.
Découvrir Apollinaire dans Les Soirées de Paris aujourd’hui.
Et vos lecteurs pourraient faire le voyage? merci encore de cet article
Merci de votre fidélité chère Maryse. Votre suggestion se transformera en invitation. PHB
Quelle belle idée! Bonne journée
Partant pour une visite célébration!, à Guillaume, et un peu à Léopoldine. Au fait, on a parfois relevé que le fameux Adieu d’Apollinaire (l’un de mes préférés du maître) estprobablement, en partie au moins, un hommage à la douleur d’Hugo dans les Contemplations.
« Puisqu’il est impossible à présent que je jette
Même un brin de bruyère à sa fosse muette, » écrit Hugo.
J’ai cueilli ce brin de bruyère
L’automne est morte souviens t’en
Nous ne nous verrons plus sur terre
Odeur du temps brin de bruyère
Et souviens-toi que je t’attends, réponds Apollinaire.
(Et pour les spécialistes, une version antérieure d’Adieu :
J’ai cueilli ce brin de bruyère
Mets-le sur ton cœur pour longtemps
Il me faut la clef des paupières
J’ai mis sur mon cœur les bruyères
Et souviens-toi que je t’attends
écho plus direct encore de :
« Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps », dernier vers du premier quatrain de Hugo)
Merci pour ce précieux apport, Monsieur Cedro. PHB
Ping : Sur le tarmac du quai de Bourbon, Ile Saint-Louis, | Les Soirées de Paris
Quelle merveilleuse idée.
Ce serait la moindre des choses que je vous offre l’occasion de déguster un thé pèlerin sur cette terrasse, rénovée bien que toujours ombragée, «à lire, à causer».
Le thé risquera d’être anglais…
N’hésitez pas.
Charles R., fils du propriétaire de l’ancien Hôtel de France, renommé Coach House Inn.
Ping : Une fenêtre sur le fleuve | Les Soirées de Paris
Bonjour !
Cette page est déjà ancienne et il paraît important de signaler pour les jeunes générations l’assez récente parution, chez Grasset, d’une édition fort bon marché de ces “Souvenirs sur Apollinaire”, à 7,50 €uros en édition électronique (mais sans les photos).
https://www.grasset.fr/souvenirs-sur-apollinaire-9782246818670
Michel Courty
https://leautaud.com/