«Le gamin au vélo», le dernier long métrage des frères Dardenne, fait partie de ces films dont on se souviendra, tant il relève d’une rare maîtrise du langage cinématographique. Sans aucun reste, chaque plan du film fait sens. Il déborde aussi d’un rare courage dans le choix du sujet. Lequel explore à nouveau, le thème est récurrent chez ces réalisateurs, ce sentiment complexe, indicible, à la fois précieux et mystérieux, l’amour. Ou finalement qu’en est-il de ceux qui vivent dans sa perte, son manque et que se produit-il lors de sa renaissance, lorsqu’une nouvelle cristallisation a lieu.
La prison de Cyril (l’éblouissant Thomas Doret), un gamin âgé d’une dizaine d’année, ce n’est pas le foyer où son père (Jérémie Rénier, juste parfait) l’a placé après être parti sans laisser d’adresse et sans donner de nouvelles. Et pour couronner le tout en vendant, sans vergogne, le vélo de l’enfant. Ce cher vélo, qui lui donnait des ailes.
Son véritable enfermement, sa souffrance première, est d’être un enfant éconduit, rejeté. Son père est incapable de voir sa valeur, son altérité, et oppose le mensonge et la froide indifférence à sa légitime attente d’affection.
L’autre versant de l’histoire, la cristallisation, apparaît en même temps que le personnage de Samantha (Cécile de France, rien de moins qu’excellente). Cette jeune femme portera sur Cyril un regard d’un genre diamétralement opposé à celui du père. Le film le montre plus qu’il ne le dit, Samantha verra immédiatement quelque chose, en Cyril. Son premier geste sera d’ailleurs de lui donner une place ou de lui restituer son image, de l’entendre en quelque sorte. Elle rachètera son vélo, lui rendra ses ailes.
Le récit s’enroule autour de ces deux manières de regarder et d’être vu. La première est désespérément vide, l’enfant est transparent. Il doit lutter pour faire reconnaître son existence que rien n’arrête, ne fixe, ne retient comme dans ce très beau plan où l’on voit Cyril littéralement fasciné par l’eau qui coule. La seconde au contraire est pleine de sa présence, sa personne est d’emblée reconnue, il est regardé comme étant à nouveau gardé. Quelqu’un prend garde de lui.
Même si l’on sait la force que peuvent avoir les enfants à l’écran, le jeune comédien Thomas Doret est absolument exceptionnel. Sa présence amplifie une mise en scène tout en retenue, loin de tout épanchement compassionnel. Le film réussit à soulever un peu le voile et nous laisse entrevoir la puissance et la beauté de l’enfant. Songeons ici à Nietzsche, à «La nuit du chasseur» de Charles Laughton ou à «L’enfance d’Ivan» d’Andreï Tarkovski.
Merci bien Pierre Chiquelin, et bonne journée
De rien, merci surtout à vous.
Pierre.