Attention, ce spectacle n’est même pas sur-titré en euros. On y cause en louis, en napoléons, en sous, en francs, donc, mais de monnaie commune européenne, point. On comprendra tout de même aisément que ces Mille francs de récompense représentent une coquette somme. Encore ne représentent-ils qu’une part minime de l’enjeu financier de cette pièce de Victor Hugo présentée au Théâtre de l’Odéon jusqu’au 5 juin.
On ne s’ennuie pas un instant, en dépit d’une durée de 3h15 (avec entracte), à vivre cette comédie sociale créée à Toulouse en janvier 2010 dans cette mise en scène de Laurent Pelly (qui signe également les costumes). Ce dernier nous assure que «monter Mille francs de récompense, c’est au fond affirmer que le théâtre se doit d’être en prise avec le réel, même si l’œuvre que l’on choisit a près de cent cinquante ans. Il y a, dans cette pièce, des choses d’une actualité brulante». Certes, l’auteur y dénonce l’appétit immodéré pour l’argent et les atrocités auxquelles certains sont capables de se prêter pour toujours amasser davantage. Mais cette dénonciation n’est pas propre à Hugo, elle est intemporelle, elle ne renvoie pas qu’à notre époque. D’autant qu’en l’occurrence, la morale est sauve, c’est beau, on dirait du Molière. Le rire et les larmes sont au rendez-vous.
Plantons enfin le décor. La France de la Restauration. Une famille ruinée, les huissiers … la saisie ? Non, le méchant Rousseline (excellent Laurent Meininger, d’une vilénie saisissante) manigance pour racheter les créances … et tenter d’emporter le cœur de la jeune fille.
Et la morale dans tout ça ? Glapieu (formidable Jérôme Huguet, bondissant), le vagabond recherché par la police, victime d’une «panne d’ascenseur social» comme le fait remarquer Laurent Pelly. Glapieu est la pièce maîtresse de cet échiquier où l’idéal de justice pourrait bien triompher. De prime abord, on craint Glapieu, forcément il n’est pas très fréquentable, mais il nous donne finalement la leçon. «Je viens planter dans le sol parisien l’oignon de la vertu, mais laissez-lui le temps de pousser que diable !» implore-t-il à l’entame du spectacle. Le spectateur ne sera pas déçu de cet oignon, il le verra monter au ciel.
«Paraître mène à être» rétorque pourtant par ricochet Rousseline, alors à quoi bon se montrer vertueux. Avec de nombreux rebondissements, ces deux personnages vont jouer au chat et à la souris. D’un côté, le rapace, le parfum de l’argent, les coups bas, de l’autre le peuple, la bonne foi, la justice. Mais l’auteur heureusement ne force pas le trait, l’action est finement ciselée. Ce que vient mettre en lumière d’une belle manière le jeu des comédiens, la mise en scène, ainsi que la scénographie admirable de Chantal Thomas. Laurent Pelly nous indique avoir pensé à «un décor filaire, le plus souvent noir sur fond blanc, découpant l’espace et le donnant plus à rêver qu’à voir». Le résultat est intéressant, effectivement on entre comme dans un songe qui nous emmène sur le Boulevard du Crime, on voit les toits de Paris, l’appartement bourgeois (vidé de ses tableaux), la Seine, les tripots. Honoré Daumier en personne pourrait bondir sur scène, on ne s’en étonnerait (presque) pas.