Ce n’est pas la vedette de l’exposition temporaire du Musée des lettres et manuscrits mais c’est tout de même un document touchant. Dans une lettre, le peintre Marie Laurencin qui fut la compagne d’Apollinaire, se dessine dans un lit et écrit sa plainte d’y être sans son homme (1). Cette exposition intitulée «Des lettres et des peintres» propose trois lettres de Marie Laurencin.
Mais ce n’est pas elle la vedette encore une fois, ce sont les lettres des poids lourds de la peinture sur les deux derniers siècles tels que Ingres, Delacroix, Manet, Monet, Cézanne, Gauguin, Matisse… C’est un des mérites de cette exposition que de permettre au public d’approcher une forme d’intimité de ces grands artistes.
Evidemment il s’agit d’un parcours très lent à parcourir puisque la lettre happe d’abord le regard par le nom puis sollicite le cerveau par le déchiffrage pas toujours facile de la plume de l’artiste. D’ailleurs s’appliquer à tout lire prendrait la journée. Heureusement, certaines sont aussi de petites œuvres d’art. Parce qu’elles sont agrémentées de dessins, parce que la disposition des mots dans l’espace étroit de la feuille de papier est parfois bien éloignée de la convention épistolaire ou enfin à cause de la plume qui se change presque en pinceau pour tracer pleins et déliés.
Dans ces lettres il y a l’histoire qui se trouve racontée comme Manet se plaignant en 1870 à son élève Eva Gonzalès qu’il n’y a plus rien à manger à Paris hormis du cheval ou du rat et que l’âne «est hors de prix». La lettre a été expédiée par «ballon monté» ce qui augmente encore sa valeur. Il y a plus tragique avec la correspondance de Matisse au peindre fauve Jean Puy, missive dans laquelle il évoque l’arrestation de sa femme et de sa fille par la Gestapo. Figure aussi le style libelle rebelle quand Fernand Léger fustige en 1924 les mondains comme Cocteau et…Les Soirées de Paris (qui ont pourtant disparu depuis quelques années) et s’emporte contre le goût français en précisant que «rares sont les types qui marchent derrière leurs couilles». Un style notablement viril qui fait un peu archéologique de nos jours.
Plus globalement tous ces courriers sont touchants parce que l’on se protège moins derrière une correspondance (a priori pas destinée à être lue par quelqu’un d’autre) que le destinataire d’une œuvre qui n’expose au propre comme au figuré que son recto. Il y en a deux cents qui ont été ainsi exhumées par le musée et qui représentent une cinquantaine d’artistes.
Pour son premier anniversaire d’installation au 222 bd Saint-Germain, le Musée des lettres et manuscrits signe une initiative tout à fait plaisante. Si le temps ne fait pas défaut aux visiteurs, ils ne doivent pas négliger pour autant les collections permanentes avec des documents tout à fait étonnants comme une lettre de Marie-Antoinette, celle d’Einstein expliquant graphiques et calculs à l’appui la théorie de la relativité ou les carnets d’un bourreau consignant les listes de ses victimes exécutées et celles dont la peine avait été commuée.
Il reste à monter une collection des mails célèbres mais le musée a, à ce propos, encore un peu de temps devant lui. Le site de l’exposition. Jusqu’au 28 août 2011.
(1) Ecrit tel quel : Je suis sans mon’homme/ Quand je n’ai pas de monhomme/ Je ne suis pas poète sans monhomme