L’Hédoniste passa devant l’Hédoniste et l’endroit lui plut. D’abord ce n’est pas tous les jours qu’il trouvait un restaurant portant le même nom que lui. Et puis la terrasse était garantie sans soleil, la salle tranquille avec ses poutres et ses murs en pierre brute, on allait pouvoir s’entendre mastiquer, ce qui devient rare à Paris, et encore plus à Montorgueil, où à vingt mètres à peine des troupeaux de pintades font le pied de grue pour avoir le droit de griller devant une salade défraîchie et d’observer la procession des éboueurs à 13h40.
Ça lui rappelait Venise où il suffit de faire deux pas de côté pour laisser derrière soi la caravane des crétins à crécelle et chapeaux de bouffon.
On lui a apporté un dos de bar posé sur des lamelles de chou chinois. L’Hédoniste n’a jamais été féru de chinoiseries, mais avec le poisson cuit juste ce qu’il faut, le chou craquant, rehaussé de citronnelle, et les petites billes de tapioca posées au fond de l’assiette creuse pour amuser la galerie et complexifier la texture du plat, il n’a pas mis longtemps à saucer le reste.
– Et puis ?
Et puis dans la formule, il y avait aussi un dessert des plus casse-gueules qui peut vite virer au ciment-colle, un riz au lait caramélisé, avec des fraises fraîches posées dessus, la simplicité même – ça aurait supporté peut-être un brin d’onctuosité en plus, mais ça glissait tranquillement.
– Ça va, la cuisson du riz vous convient ? lui a demandé la serveuse, plutôt jolie.
– Ben oui, qu’il a répondu, un peu bête, c’était la première fois qu’on lui parlait si gentiment dans un restaurant du quartier, qu’on s’enquérait vraiment de son bien-être, pas juste une formule de politesse avant de débarrasser le couvert.
– On ne met pas trop de sucre dans le riz au lait, sinon ça tue le dessert, a continué la serveuse.
Sucrer moins pour se sucrer plus. Ça aurait fait un bon slogan, la petite était épatante. Il s’en est tiré à 19 euros la formule plat-dessert, sans le café. A ce prix là, il aurait eu droit à un plat de pâtes mal cuites au Buco, un peu plus loin dans la même rue. Il est reparti, toujours à l’ombre, sous les vivats du patron. A l’angle, les pintades grillées reniflaient les dernières traces du passage des éboueurs.
L’Hédoniste, 14 rue Léopold Bellan, Paris 2ème. 01 40 26 87 33
Formules à 19 € et 33€ au déjeuner. Plats 20-25 €.