Sa mère adaptait au quantième du jour la métrique de sa poésie. Cela signifiait que le 2 elle écrivait des vers de deux pieds, le 3 de trois «et ainsi de suite jusqu’au 31». Et le premier de chaque mois «elle vaquait». Cette histoire fait partie des petits étonnements qui parsèment le 12e numéro de La Passe, discrète revue littéraire où toutes les fantaisies semblent permises.
Il faut pas mal de courage de nos jours pour éditer une revue littéraire. Il fut une époque, 1912 au hasard (l’année de naissance des Soirées de Paris) où il en existait plus de 150 rien que sur la capitale. La Passe est semestrielle et le numéro 12 vient de sortir si l’on peut dire à la saison printemps été 2011. Derrière cette production il y a Tristan Félix dont l’un des spectacles à la Halle Saint-Pierre a déjà fait l’objet d’un compte rendu dans Les Soirées de Paris. C’est elle qui dirige la rédaction et c’est un habitant de la Somme (excellente référence géographique), Philippe Blondeau, qui assume la direction de la publication.
Se lancer dans la lecture de La Passe c’est comme emprunter un corridor à surprises. Bien malin celui pourrait deviner ce qui l’attend dans les pages suivant celle qu’il est en train de lire. Tomber sur un poème intitulé L’hypnagogie n’arrive pas tous les jours, parcourir un texte évoquant des chats à même de faire «tourner la lune en lait caillé» n’est pas le plus courant des propos et se faire prier par Tristan Félix de ne pas faire une tête de vieux crapaud aplati sur la route traduit une sorte d’ambiance littéraire un tantinet déconcertante et à laquelle il faut bien se faire.
Honnêtement ce serait dommage d’en faire la nomenclature puisque cela atténuerait l’effet de surprise. A vrai dire on peut se laisser séduire par la fantaisie sans frontières de l’opuscule qui peut aussi bien tomber des mains des amateurs de lecture rationnelle. La Passe est une sorte de Revue Littéraire Non Identifiée, elle fonctionne comme une théière volante habitée qui prend des passagers. C’est facile d’y monter, ce n’est pas compliqué d’en descendre si elle vous rend nerveux.
Dans un «avis» publié page 58 La Passe se dit ouverte aux contributions poétiques dès lors que «leur format et leur esprit, ont quelque rapport avec ce qu’ils ont pu lire dans les numéros déjà publiés». Et là c’est impossible de tricher sauf si on retient ce qui est indiqué sur la couverture en citation à savoir que «la mission de tout un chacun est de mener à bien le mensonge qu’il incarne, de parvenir à n’être plus qu’une illusion épuisée» (Cioran).
Post-scriptum : si votre curiosité est piquée dans son vif vous pouvez trouver La Passe dans les lieux parisiens suivants : Galerie-Editions L Manguin, la Halle Saint-Pierre, la librairie Anima, la librairie Compagnie, la Lucarne des Ecrivains, La librairie La hune et aussi la librairie du Labyrinthe à Amiens. Pour ceux qui n’habiteraient ni à Paris, ni Amiens, vous pouvez prendre un abonnement pour 4 numéros et pour 30 euros auprès de Philippe Blondeau, 3 rue des moulins, 80250 Remiencourt. Mais c’est mieux de prendre connaissance d’un premier numéro avant. Ce n’est pas une revue courante.
Tristan Félix à la Halle Saint-Pierre, c’était dans les Soirées de Paris.