Kees Van Dongen, enchanteur et déchanteur

Fauve, anarchiste et mondain, voilà comment le musée d’Art moderne  a choisi, 20 ans après la précédente, de titrer une nouvelle exposition dont le sujet est Kees Van Dongen. Portraitiste, coloriste de l’extrême, l’artiste d’origine hollandaise n’a pas toujours fait l’unanimité.

Dans un livre paru en 1990 et dans un préambule en forme de glossaire, Gilbert Lascault rappelait que Guillaume Apollinaire avait écrit en 1908: «M. Van Dongen manifeste brutalement des appétits formidables» ce qui n’est pas encore une prise de position mais, deux ans plus tard, il le fusille par cette réflexion : «Les tableaux de M.Van Dongen sont l’expression de ce que les bourgeois souffrant d’entérite appellent aujourd’hui de l’audace. Pour ma part, j’y vois bien quelques dons de peintre, mais aussi une vulgarité que l’artiste cherche à transformer en brutalité.» Quelques vives attaques plus tard, Apollinaire adoucira quelque peu sa position pour reconnaître, en 1918 dans la revue Les Arts à Paris que Van Dongen «a le premier tiré de l’éclairage électrique un éclat et l’a ajouté aux nuances. Il en résulte une ivresse, un éblouissement, une vibration…».

Les portraits que l’on redécouvrira à cette occasion parmi les 90 œuvres présentées sont pourtant pleins d’intérêt pictural. Celui de Fernande Olivier peint en 1905, sa «femme au chapeau rose» réalisé en 1907, le «doigt sur la joue» achevé en 1910 et plus tard son «écuyère» (1920) ou encore son «sphinx» terminé en 1925, expriment un talent et une aisance d’exécution devant lesquels il est quand même bien difficile de rester stoïque. Il en ressort une capacité à séduire évidente pour celui qui avouait drôlement en 1963 lors d’une interview donnée à Madeleine Chapsal que ce qu’il préférait dans la peinture c’était «le tube et le pinceau».

Le Sphinx. 1925. Musée d’Art moderne de la Ville de Paris. © Musée d'Art Moderne / Roger-Viollet. © ADAGP, Paris 2011

S’il y a manifestement un côté enchanteur chez Kees Van Dongen, il y aussi un côté déchanteur qui n’a rien à voir avec les subtilités de la critique d’art. Chaque homme a naturellement sa part d’ombre mais, bien malheureusement, Van Dongen en a plus que sa part.

A titres divers, l’artiste est lié à l’Allemagne. Il y a exposé et a aussi adhéré à l’important mouvement artistique «Die Brücke». En 1910 par exemple,  il expose à la Neue Künstlervereinigung à Munich, la ville des sécessions artistiques, où ses œuvres côtoient d’autres fauves mais aussi des cubistes comme Picasso ou Braque.

Non, la mauvaise tache de couleur, c’est son déplacement en Allemagne en 1941, à l’invitation d’Arno Breker, sculpteur officiel du Troisième Reich. La France est alors toujours en guerre avec l’Allemagne même si l’armistice a fait taire les armes.

Van Dongen, naturalisé Français en 1929, accepte de partir (au contraire de Maurice Denis et d’autres, détaille Lionel Richard en 1990 dans le livre édité par le MAM) et il est hélas accompagné de Derain, Vlaminck ou encore Belmondo on l’espère frappés d’aveuglement collectif. Une photo existe, malheureusement non libre de droits, qui le montre sur le quai de la gare de l’Est avec d’autres artistes en compagnie de militaires allemands. Glaciale.

Cette invitation à l’adresse d’artistes français comportait une restriction de principe précise Lionel Richard, il fallait être «ni juif ni marqué d’une réputation judéo-bolchevique»…

En 1942 Breker s’expose à Paris à l’Orangerie et l’on retrouve parmi les invités présents ceux qui avaient fait le voyage en Allemagne un an auparavant. C’est terrible de lire, toujours sous la plume de Lionel Richard dans cet excellent livre de 1990 à l‘occasion de l’exposition «Van Dongen, le peintre» que c’est peut-être sa «docilité qui lui vaut, lors de sa rétrospective à la galerie charpentier en novembre 1942, d’être encensé à la fois par l’organe du fascisme français La Gerbe et par l’organe du fascisme allemand Das Reich».

Il n’est pas le seul à s’être fourvoyé certes, comme d’autres à l’égard de l’Union soviétique quelques années plus tard. Mais c’est difficile de faire comme si de rien n’était. C’est difficile d’oublier et de ne pas voir cette ombre, de ne pas la mentionner, cette ombre qui déteint sur son talent exceptionnel et en tout cas sur son style indéniable.

Van Dongen (1877/1968), fauve, anarchiste et mondain, 25 mars 2011 – 17 juillet 2011 Musée d’Art moderne de la Ville de Paris

Lire aussi sur Art Clair, « la photo qui dérange« .  

Une biographie d’Arno Breker sur Wikipédia.

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