Les raisons ne manquent pas d’aller voir l’exposition «Portraits d’écrivains» à la Maison de Victor Hugo Place des Vosges. Si l’on procède par ordre décroissant annonçons-en deux : Irving Penn et Julia Margaret Cameron. Pour le premier on s’immobilisera devant son portrait de Jean Cocteau. Irving Penn le transforme incroyablement en oiseau et ne dirait-on presque une chimère en forçant un peu sur la station debout.
En revendiquant l’usage du flou, la seconde, qui n’a pas connu le 20e siècle, était à l’avant-garde. En s’émancipant de la netteté, les photographies de Julia Margaret Cameron s’écartent en même temps du dogme réaliste, quasi-documentaire, des premiers temps de la photographie où le flou était accidentel, ou dû aux limites technologiques. «Quand je mettais au point, expliquait-elle, et quand j’arrivais à quelque chose qui, à mes yeux, était très beau, j’arrêtais alors, au lieu de tourner l’objectif jusqu’à une mise au point parfaite, ce que tous les autres photographes tiennent absolument à faire.»
Ce qu’en disait Julia Margaret Cameron en 1874, cinq ans avant sa mort, se retrouve aussi dans les propos que tenait dans son journal, en 1926, l’élégant Jacques-Henri Lartigue : «l’objectif qu’on met au point : c’est flou avant et après. C’est extrêmement joli un tout petit peu avant et un tout petit peu après. C’est trop net quand le point est exact, les beautés sont tuées par la précision».
Les quelque 200 œuvres sélectionnées représentant près de 90 écrivains et 30 photographes proviennent des fonds photographiques de La Maison de Victor Hugo, de la Maison Européenne de la Photographie et des collections de l’agence Roger-Viollet.
Le seul défaut de cette exposition est qu’elle est mal dosée. A une surabondance de portraits de Victor Hugo, certes étonnants, on aurait préféré un délestage plus nourri du fonds Roger-Viollet lequel aurait permis de voir davantage d’écrivains. Il est ainsi présenté de belles photos de Max Jacob mais pas de Guillaume Apollinaire ce qui est dommage.
Désormais sous le contrôle de la ville de Paris (la Parisienne de Photographie), les collections Roger-Viollet ont tout de même lâché quelques œuvres intéressantes comme les portraits de Joseph Kessel par Pierre Choumoff vers 1920 et plus particulièrement celui de Marguerite Yourcenar par Albert Harlingue , tant cette photo magique restitue l’entièreté oxygénée d’un instant saisi au vol dans le jardin des Tuileries en 1937.
La présence de quelques mastodontes de la photographie devraient achever de convaincre les retardataires de se rendre à l’hôtel de Rohan-Guéménée (l’exposition s’achève le 20 février) comme Nadar pour l’un des plus anciens qui s’exprimait dès 1857 sur les aspects psychologiques du portrait photographique ou des plus contemporains comme Edouard Boubat, Robert Doisneau ainsi que Richard Avedon et bien d’autres.
Il y a là de quoi passer un bon moment avec le regret -persistant- qu’il manquait quelques convives. La bonne formule eût été 200 écrivains et 90 photographes. Le fameux «signal de satiété», cher aux nutritionnistes de nos jours, se fera attendre longtemps au sortir de cette exposition.