Il y a un piège si bien fait sur le thème de la paramnésie (sensation de déjà vu) sur Le Plateau (Frac Île de France) qu’on s’y laisse prendre. Du reste ce n’est pas un piège mais une œuvre d’art contemporain signée Michel François. Et on peut la découvrir dans ce lieu d’exposition qui ne fait jamais dans la facilité, Le Plateau au 33 rue des alouettes, dans le 19e arrondissement.
«Prospective XXIe siècle» est une exposition conçue à partir des récentes acquisitions du Frac, le fonds régional d’art contemporain d’île de France. Et comme il fallait trouver un fil rouge pour combler l’absence de thème, c’est «la question de la mémoire» qui s’y colle.
A vrai dire, c’est toute de même méritoire de la part des animateurs de cet endroit de s’attacher à exposer des œuvres difficiles d’accès. Ce qui est amusant justement c’est de les comprendre et, il y a sur place des médiatrices plutôt aimables, qui se chargent de répondre à vos questions de base.
Dans une pièce par exemple, tourne sans interruption depuis le début de l’exposition (le 9 décembre) un 33 tours. Et c’est un texte de Alain Robbe-Grillet qui sort des enceintes. Sans la médiatrice ou le petit opuscule (bien peu lisible) on peut se demander de quoi il retourne. En fait il s’agit d’un enregistrement sur acétate qui a la particularité de s’effacer petit à petit par altération et donc de devenir de moins en moins sonore. Cet évanouissement progressif du son est notamment l’illustration du souvenir confus d’une femme quant à son histoire vécue. Cette œuvre d’Emilie Pitoiset est pour le moins pensée ceci dit sans aucune ironie.
Si le fil rouge de «Prospective XXIe siècle» est la mémoire, son fil blanc est singulièrement cérébral. La très belle photo de Florence Paradeis qui se trouve dès l’entrée de l’exposition pourrait se contenter d’être agréable à regarder. Mais non. C’est le «remake» d’une photo d’un autre, Bill Owens, fait avec la collaboration d’une de ses amies dont la ressemblance avec l’auteur (du remake) est présentée comme troublante. Ce qui compte c’est de bien se concentrer mais il faut avouer que petit à petit l’on se surprend à se prendre au jeu.
Et puis il y a cette œuvre de Michel François qui est là pour piéger quelque peu votre mémoire et votre sens de l’orientation. Le dire c’est déjà un indice mais ce n’est pas la solution intégrale. C’est au début du parcours qu’une pièce lui a été confiée. Les murs sont tapissés de ce qui semble être une représentation d’écorce de bouleau et au milieu de la pièce un paquet de journaux (Le Monde en l’occurrence) reçoit à intervalles réguliers une goutte d’encre à partir d’un réservoir fixé au plafond. La médiatrice affectée à cette œuvre précise que l’artiste vient tous les jours mettre sur la pile la dernière édition du quotidien du soir.
Où est le piège ? Il est en fin d’itinéraire dans une pièce sans issue qui est la réplique exacte de la première. La démonstration de la mécanique du «déjà vu» fonctionne de façon parfaitement troublante. Et ce n’est qu’en repassant dans la première pièce accueillant la première œuvre que l’on réalise que l’on s’est fait habilement manœuvrer. Mais tant mieux.
«Prospective XXIe siècle» pourrait, à première vue, dans son ensemble et pour chaque œuvre présentée, sembler avoir été conçue par un club de migraineux égarés. Mais ce serait finalement idiot de s’arrêter là. L’exposition fournit au visiteur les moyens de comprendre où l’artiste voulait en venir. Il en résulte à chaque fois un petit effet de surprise qui fait que le Plateau du 33 rue des alouettes mérite finalement le détour. Jusqu’au 20 février.
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