Que peut bien regarder cet homme ?
Nous sommes en 1900, 1903. La trentaine bien sonnée, lunettes rondes sur le nez et ces mains qui ont l’air si malhabiles, si peu fiables, si hésitantes. Il semble contempler intensément quelque objet dans la posture figée d’un husserlien en pleine «épochè». Avec l’air étonné d’un prophète attendant sa prophétie ou de l’élève studieux, hypnotisé par ce qui lui est dicté.
Mais faisons tout d’abord les présentations. Cet homme, c’est Henri Matisse. L’image, une pointe-sèche. Un de ses plus anciens autoportraits connus, «Henri Matisse gravant». Ce qu’il regarde, nous ne le saurons pas. Fort heureusement. Mais nous pouvons nous en faire une idée. Peut-être regarde-t-il quelque chose qui relève de l’écart, de la différence et du «différer». Mais aussi bien regarde-t-il quelque chose qui relève du coup de dés et du hasard jamais aboli. Ou simplement l’effet de la lumière sur le corps féminin et nu d’un de ses nombreux modèles. A moins qu’il ait entrevu la ligne d’un visage, ligne faisant signe.
«Une autre langue, Matisse et la gravure» est le titre donné à cette exposition proposée par la Fondation Mona Bismarck. Exposition remarquable qui présente un large aspect de ce travail moins connu de l’artiste. Soit environ une centaine d’œuvres imprimées de celui qui fut à la fois peintre, dessinateur, sculpteur, architecte et aussi graveur.
Pointe-sèche, eau-forte, aquatinte, monotype, taille d’épargne, linogravure, lithographie. Le catalogue raisonné de l’œuvre gravé, commencé par sa fille Marguerite Duthuit et achevé par son petit-fils, Claude Duthuit, comptera jusqu’à 829 estampes et couvre un demi siècle. Sans parler des illustrations de plus de 80 livres comme ceux de James Joyce, Baudelaire, Mallarmé dont nous aurions aimé voir la facture plus en détail, seul petit reproche à cet ensemble parfait.
Autre langue donc, mais sans doute par d’autres moyens, le même enjeu. La conquête du trait et de ce fond redoutable, vertigineux. Rien de moins, à coup de «pureté de la ligne et d’intensité émotive» qu’un nouvel espace de la représentation, c’est à dire l’invention de la peinture moderne. Il s’agit «d’apprendre et peut-être de réapprendre une écriture qui est celle de la ligne» confie-t-il à un critique en 1909. La ligne, c’est le doute pas la certitude.
Et comme chacun sait Henri Matisse n’aura pas fait partie de ceux qui ménagent leur doute. Du «Grand Nu» 1906 au «Masque blanc sur fond noir» 1950, les œuvres gravées «batailleront ferme» avec sa peinture, ses dessins.
En sortant vous longerez à nouveau l’avenue de New York où il sera difficile de ne pas entendre encore,
« Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin », « Zone », G. Apollinaire, un ami qui fut lui aussi illustré en son temps par Henri Matisse.
UNE AUTRE LANGUE
MATISSE ET LA GRAVURE
34, Av. de New-York, 75116 PARIS
Jusqu’au 15 février 2011.
Bonjour,
Merci de ce billet.
Il est toujours étonnant de (re-)découvrir certains pans de l’œuvre d’un artiste dont on croit (à tort) tout connaître.
Auriez-vous des précisions sur les dates de cette exposition?
Bonjour,
L’exposition est présentée jusqu’au 15 février, de 12h00 à 18h30, Entrée libre.
En vous remerciant.
Cordialement.
Pierre.
Hum… Matisse regarde à coup sûr… son miroir, c’est à dire lui même, puisqu’il s’agit d’un autoportrait, exercice périlleux s’il en est, et qui dénote très souvent sur le visage du dessinant, une expression similaire : l’extrême concentration. (me viennent en tête immédiatement les autoportraits de Hopper, Van Gogh…) Ce qu’il pense, par contre, c’est autre chose, et vos extrapolations me semblent pertinentes et bien senties !