Quel luxe insigne que de pouvoir se déshabiller derrière ce paravent laqué noir signé Eileen Gray. Estimé entre 1,2 et 1,5 million d’euros, il fait partie d’un ensemble exceptionnel, par son volume (500 œuvres) et ses signatures, qui sera dispersé par Christie’s au Palais de Tokyo à Paris, les 29, 30 et 31 mars 2011.
Le président de Christie’s France, François de Ricqlès, a sorti pour l’occasion le porte-voix et déclaré que cette collection est « hors du commun », qu’elle est la seule à réunir « comme un tout, les mouvements différents, successifs et parfois contradictoires qui ont constitué l’Art Déco, du classicisme de Rulhmann et Dunand au modernisme d’Eileen Gray, Chareau et Francis Jourdain ».
Le fait est que sur un plan général, le mobilier art déco est rare parce qu’il est réputé ne pas être encore sorti des maisons de famille, que ce soit en France ou dans les nombreux pays où ce puissant mouvement a essaimé. S’il s’agit en outre d’œuvres signées ou reconnues faites par telle ou telle célébrité du genre, il n’y a plus que des apparitions exceptionnelles.
C’est seulement quatre ans avant sa mort, qu’Eileen Gray (1879-1976) suscite l’intérêt du marché. Un paravent de sa main appartenant à la collection Jacques Doucet est vendu 36 000 dollars à Drouot. Un chiffre qui surprend car le nom de l’aristocrate irlandaise est alors quelque peu tombé dans l’oubli.
Influencée par des courants modernistes comme De Stijl ou le Bauhaus, elle « symbolise à elle seule, selon Christie’s, l’évolution des arts décoratifs au cours de la première moitié du vingtième siècle. Eileen Gray, installée à Paris, avait notamment pour habitude de baptiser certaines de ses œuvres. On peut citer son fauteuil « Bibendum » (800 000 à 1,2 million d’euros) ou sa suspension « aéroplane ». (300 à 500 000 euros). Tout ne figure pas au catalogue de cette vente loin s’en faut et cette artiste a aussi signé des œuvres d’une originalité exubérante comme le « sofa pirogue ». A noter qu’Eileen Gray s’est aussi exprimée sur papier.
Au printemps, outre Eileen Gray, ce sont donc des grandes signatures qui repartiront dans des mains assez pleines pour enchérir : Louis Majorelle (1859-1926) pour l’Art nouveau, Jean Dunand (1877-1942), Pierre Chareau (1883-1950) ou encore Le Corbusier (1887-1965) Emile-Jacques Ruhlmann (1879-1933), Robert Mallet-Stevens (1886-1945)… Le bouquet sera présenté de façon chronologique. Le produit total de la vente est estimé entre 40 et 60 millions d’euros.
Si ce n’était l’hygiénisme tout à fait liberticide et barbant qui plombe ce début de siècle, on serait presque tenté de se cotiser pour acheter « la paire de tables fumeur », signée Emile-Jacques Ruhlmann, réalisée en 1925 en collaboration avec Jean Dunand. Fumées de blondes ou brunes, sans filtre, exclusivement recommandées. Entre 150 et 200 000 euros pour les deux tables, c’est jouable.