Quelques dizaines de numéros, des tirages limités inversement proportionnels à la notoriété du titre, les exemplaires des Soirées de Paris publiés entre 1912 et 1914 sont très rares. Il est possible de trouver un ou deux exemplaires à la vente sur les sites de ventes aux enchères. A 130 euros l’exemplaire plus ou moins bien conservé, on mesure le prix de la rareté. C’est dire si l’initiative prise par les Editions De Conti de rééditer en un seul volume tous les numéros parus depuis la nouvelle série de 1913 est la bienvenue.
Les Soirées de Paris, c’est d’abord un style qui n’a pas grand-chose à voir avec les canons journalistiques d’aujourd’hui. Ce sont aussi des photographies d’œuvres de Picasso qui ont disparu par la suite. Ce sont encore les premières critiques cinématographiques (notamment par Apollinaire), comme le souligne dans sa préface Isabel Violante.
Mais c’est surtout une plongée dans le passé, ô combien foisonnant et passionnant, du monde culturel qui vibrionnait entre Montmartre et Montparnasse, dans les deux dernières années précédant la première guerre mondiale. Il ne s’agit pas ici de tout dévoiler, d’abord parce que l’ouvrage fait plus de 600 pages et ensuite parce qu’il faut le réclamer à son libraire toutes affaires cessantes.
Levons juste un voile sur les pages consacrées au peintre Henri Rousseau (dit le Douanier) dont les Soirées de l’époque publient une abondante correspondance. Ces lettres forcent la sympathie et se révèlent également pathétiques parce qu’elles mettent en évidence la pauvreté du peintre et l’ingratitude extrême de sa vie.
Apollinaire, dont Rousseau réalisa le portrait, écrivit ceci sur le peintre disparu en 1910 dans la maladie et la misère, sans même que sa dernière compagne de l’époque ne se dérange pour l’inhumation:
En 1913 enfin, le sculpteur Brancusy (sic) et le peintre Ortiz de Zarate gravèrent sur la pierre tombale cette épitaphe que j’y avais écrite au crayon :
Gentil Rousseau tu nous entends
Nous te saluons
Delaunay sa femme Monsieur Queval et moi
Laisse passer nos bagages en franchise à la porte du ciel
Nous t’apporterons des pinceaux des couleurs des toiles
Afin que les loisirs sacrés dans la lumière réelle
Tu les consacres à peindre comme tu tiras mon portrait
La face des étoiles
Guillaume Apollinaire