Un studio à Boulogne

L’inspecteur Morse, héros de la saga littéraire british puis de la série télévisée anglaise, toutes deux mondialement connues, est devenu le successeur à la fois de Sherlock Holmes et d’Hercule Poirot. Contrairement à ses légendaires prédécesseurs, Chief Inspector Morse n’est pas détective privé, mais bien qu’appartenant aux forces de police d’Oxford, il aime autant la bière que l’opéra et les poètes anglais. Et surtout, il croit profondément aux coïncidences lors de la résolution de ses enquêtes. C’est chez lui une quasi religion, et qui pourrait nier que les coïncidences jouent dans notre vie un rôle stupéfiant? Alors on se le demande forcément: qu’aurait-il pensé en apprenant que le photographe Frank Horvat avait choisi de s’installer en 1975 au 5 rue de l’Ancienne Mairie à Boulogne-Billancourt? Qu’est-ce qui a bien pu amener là, dans cette modeste rue boulonnaise, ce grand artiste et grand voyageur né en Italie en 1928 dans une famille de médecins juifs originaires d’Europe Centrale, au bout d’un périple passant par la Suisse, l’Italie, le Pakistan, l’Inde, l’Angleterre. Arrivé en France à la fin des années 1950, il poursuivra ses voyages aux États-Unis, en Europe, aux Amériques comme en Asie. Continuer la lecture

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Une trotteuse à l’arrêt

L’atome se fiche comme d’une guigne d’une trotteuse en action. Lui ne connaît que le mouvement perpétuel, la collision permanente et la fabrication sans fin de molécules. L’horloge est faite pour les gens de surface. L’angoisse d’hier, d’aujourd’hui et de demain est une émotion sans fondement. Les écrivains et les artistes se sont souvent frottés au sujet. Apollinaire aussi, s’est aventuré dans l’espace-temps. Pour ce faire il avait pris le pseudonyme de Croniamantal, dans son livre intitulé « Le poète assassiné ». Ce que n’avait pas manqué de remarquer l’universitaire et auteur Marie-Jeanne Durry (1901-1980).
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Citadelle avec vue

On pense à Dufy, Courbet, Monet, Marquet, la vue maritime étant toujours irrésistible pour les peintres. Sur cette photographie, le sillage d’un bateau coupe l’image. Il se passe sans cesse quelque chose au-dessus des flots. Depuis la Citadelle de Port-Louis dans le Morbihan, le regard, l’esprit et les poumons profitent des bienfaits de cette rade, à maints égards vivifiante. Alors qu’il y a quelques siècles, c’était davantage un « hub » commercial, pour utiliser le langage moderne. Et le promontoire sur lequel les Espagnols édifièrent en premier une citadelle, servait à anticiper les attaques de marins avides d’épices et de produits revenus d’Inde. Il y avait des canons à terre pour se défendre et des canons à bord pour détruire le dispositif de défense. Aujourd’hui l’on jouit seulement du panorama et de l’histoire de ces vieux murs, alors qu’avant c’était pour affaires. On partait d’ici pour les Indes et plus globalement vers l’Asie en contournant l’Afrique par le sud et le retour du vaisseau, s’effectuait avec une ligne de flottaison accusant la charge. Continuer la lecture

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Station de pompage

Le traquenard fut superbement agencé, en prévision de la rentrée scolaire 2012. Tout s’emboîtait comme poupées russes. Un travail d’orfèvre machiavélique. Enseignant les Lettres classiques au Lycée Chaptal, Loys Bonod s’infiltra comme contributeur sur Wikipedia, rubrique littérature. Une fois accrédité par quelques apports utiles, selon la règle en usage dans cette encyclopédie collaborative, il ajouta un détail dans la biographie de Charles de Vion d’Alibray, obscur poète baroque, copain de bistrot de Benserade. Il lui inventa une liaison passagère avec une certaine Anne de Beaunais, (chez qui le lecteur attentif trouverait « bonnet d’âne »). Puis il s’en alla sur divers forums, posant d’une main des questions maladroites sur ces personnages, auxquelles, de l’autre, il répondait, en des termes alambiqués, par des considérations ineptes. Poussant le bouchon encore plus loin, sous le synonyme de Lucas Ciarlatano (chez qui le lecteur attentif trouverait « charlatan »),il se fit recruter comme auteur sur deux sites spécialisés dans le commerce de « documents académiques sur mesure » (expression que le lecteur attentif traduirait par « devoirs tout faits »). À qui il finit par fourguer une rédaction concernant Charles de Vion d’Alibray, truffée de balivernes, mais néanmoins validée par leur comité de lecture. Enfin, il posta, de ci de là, sur Google des liens rabattant vers ses créations. Le piège à cons était armé. Continuer la lecture

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Les drôles de licornes

Les éleveurs de licornes se font rares. Et à condition que l’on en trouve une, il faut encore dénicher un palefrenier spécialisé. Question vaccinations, il est aussi nécessaire de repérer un vétérinaire compréhensif qui saura réprimer le flottement intellectuel bien naturel, à la vue de l’animal unicorne dans l’antichambre de sa clinique. Ces destriers nimbés de lumière blanche aux yeux facilement étoilés ne sont en principe visibles qu’aux personnes sans préjugés, clles à même de discerner un phénomène extraordinaire dans un décor banal, un quai de RER par exemple. On peut toujours par défaut, se procurer un canasson de rebut, lui lustrer la crinière avec du bicarbonate et lui coller un cône en carton sur le front. Mais le subterfuge sera vite éventé. On en connaît qui se sont bricolé des hippogriffes avec fort peu de moyens. Cependant, le cheval ailé n’a pas le même prestige que la licorne, ni la même magie, ni les mêmes pouvoirs. Celle que l’on voit sur la tapisserie du musée de Cluny à Paris (ci-dessus) a sûrement été réalisée d’après modèle. Elle a l’air trop vrai, racontant avec délicatesse plusieurs sens de la vie. Elle est symbole de pureté, de virginité, et dont l’origine serait asiatique bien avant l’ère chrétienne: la licorne revient dans l’actualité. Continuer la lecture

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Quand l’art fasciste débarquait à Paris

Retenue en Italie par son agenda politique et mondain, Margherita Sarfatti, avait décalé sa venue à l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels. C’était il y a cent ans précisément du côté des Invalides, du 28 avril au mois de novembre 1925. L’égérie de Mussolini (chef d’État italien, funeste inventeur du fascisme et du totalitarisme) vint en effet plus tard inaugurer le pavillon italien signé Armando Brasini. Arc de triomphe fermé, n’accueillant au mieux que des silences polis et des attitudes goguenardes des commentateurs, comme le racontait très bien Françoise Liffran, dans sa captivante biographie de Margherita, sortie en 2009 au Seuil. Et cette grande dame d’Italie (1880-1961), fut déçue par l’accueil de cette France radicale socialiste qui vit dans le pavillon italien « un cénotaphe à la mémoire des libertés écrasées ». Pourtant cette femme issue de l’aristocratie juive, avait pris un bon départ dans la mouvance socialiste, de même que Mussolini, lequel aurait préféré mourir, dit-il un jour, que de renier cet idéal. Ni l’une ni l’un n’en seraient dans leur vie, à reniement près. Continuer la lecture

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Un mai très musical

On ne dira jamais assez combien le lieu où va écouter de la musique est important…
Dirigeons-nous d’abord à l’Ouest toute, jusqu’à la bien nommée Seine musicale (en contrepoint à la Philharmonie à l’Est toute), sur l’île Seguin boulonnaise, vaisseau de verre et de bois suivant le rythme du soleil grâce à son aile tournante de panneaux solaires, un exploit architectural signé du Japonais Shiberu Ban. Le simple fait de franchir à pied le pont en aval de la Seine, de s’imprégner de la couleur du ciel roulant sur les flots, nous met dans un état second pour suivre le long couloir (d’une blancheur trop dépouillée), prendre l’escalator, et parvenir dans l’auditorium. Une salle à taille humaine de 1150 places (pas comme dans la grande scène électronique voisine), où tout a été conçu pour la beauté du son: plafond en nid d’abeille de carton blond, bois sculpté en longues vagues sur les murs, et gradins « en vignoble » entourant la scène de tous les côtés. Continuer la lecture

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L’Amérique sur quatre roues

De façon à entrer en contact avec ses semblables, Steinbeck usait de différents subterfuges. Soit il envoyait son chien flairer les étrangers avant d’intervenir en feignant de s’excuser, soit en leur demandant son chemin afin d’être encore plus égaré, soit en réclamant la faveur d’un café ou d’un verre d’eau. Ce jour-là dans le Dakota, 40e État des États-Unis depuis 1889, il s’arrêta devant une maison aussi négligée que ses abords et demanda de quoi se désaltérer. La femme qui en sortit semblait affolée, tout à la fois par sa propre solitude et par le paysage ingrat qui l’entourait. Elle le submergea aussitôt « sous un flot de paroles ». Elle lui parla sans s’interrompre et dans l’ordre, de ses parents, de ses amis, « de ce pays auquel elle ne pouvait s’habituer ». John Steinbeck (1902-1968) s’aperçut qu’elle avait tout simplement peur de l’endroit. Souvent honnête avec lui-même, c’est même ce qui caractérisait cet auteur à la sagacité non remplacée depuis, l’écrivain dut admettre qu’il battit en retraite. Il aurait pu inventer quelque chose de reluisant pour sa postérité d’humaniste, mais préféra admettre qu’elle lui avait bonnement collé la trouille. Continuer la lecture

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Léger avant tout

Trop d’expositions ne reposent pas sur des bases solides, alors nous nous rendons à celle du musée du Luxembourg intitulée « TOUS LEGER ! » avec un brin de suspicion. Il s’agit d’établir une filiation entre Fernand Léger et la génération des peintres étrangers ou français des années 1960 (l’équivalent du pop art français). Car étrangement, Léger parlera à propos de son film non narratif « Ballet mécanique », tourné en 1924, de « nouveau réalisme », alors que le critique Pierre Restany choisira de fédérer la bande des peintres des années 60 comme les « Nouveaux réalistes ». Serait-ce un hommage à l’aîné trente ans après, se demandent les organisatrices de l’exposition, qui veulent y voir un signe ? La commissaire Anne Dopffer, directrice des musées nationaux du XXe siècle des Alpes Maritimes, s’étant adjointe la co-commissaire Julie Guttierez, conservatrice du musée Fernand Léger de Biot et la co-commissaire des expositions au MAMAC (Musée d’Art moderne et d’Art contemporain de Nice. Voilà une conjonction qui explique bien des choses, puisque le MAMAC de Nice est fermé depuis janvier 2024 pour quatre ans de rénovation: il s’agit de promener ses collections, comme celles du musée Léger de Biot, ouvert en 1960 par sa veuve, sous le patronage de Picasso, Braque et Chagall (grandissime inauguration). Continuer la lecture

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L’extraordinaire histoire du Bolero sans accent

Trois ans seulement après sa création, un journal parlait d’une « Marseillaise des temps modernes ». Et pourtant, sur l’affiche annonçant le nouveau spectacle de la chorégraphe Ida Rubinstein, le 22 novembre 1928, le nom du compositeur Maurice Ravel n’apparaissait qu’en caractères discrets, plus petits en tout cas que ceux du chef d’orchestre, un certain Walter Straram. Ce dernier avait dû remplacer au dernier moment  le grand Ernest Ansermet, empêché pour d’obscures raisons syndicales. Le titre était malencontreusement orthographié à la française, c’est à dire « Boléro », avec un accent. Le compositeur, dont on connaît la méticulosité, aurait aimé que l’on respecte la graphie espagnole « Bolero ». Tous ses manuscrits en témoignent. L’erreur est très fréquemment reproduite aujourd’hui. Nous l’avons nous-même commise (1). Ces précieux renseignements, et mille autres, nous les trouvons dans  la passionnante étude sur la genèse de l’œuvre la plus emblématique du compositeur français publiée en 2018 par Manuel Cornejo, l’hyperactif président des Amis de Maurice Ravel (2). Sévillan d’origine, M. Cornejo est par ailleurs éditeur de la Correspondance de Ravel dont une deuxième édition vient de sortir chez Gallimard. Une véritable somme, plus impressionnante encore que la première: quelque 3.000 pages, 2.919 documents dont 259 supplémentaires par rapport à l’édition de 2018. Continuer la lecture

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