La croûte et le pâté

Un érudit aurait retrouvé la trace du pâté en croûte dans un traité de chasse du XIVe siècle, intitulé le « Roman des Déduis » (1). L’auteur, Gace de la Buigne, chapelain de Philippe VI à partir de 1384, en énoncerait une recette. Mais c’est Guillaume Tirel, dit Taillevent, cuisinier de Charles V, par son ouvrage, le Viandier, qui le fait accéder aux tables seigneuriales. Il s’agissait d’une préparation de viandes maigres, généralement porc ou veau, mêlée de morceaux de gibiers à plumes, perdrix, pluvier, mauviette, hachés et épicés, malaxés avec un liant, œuf, mie de pain, farine, fécule. Elle était, éventuellement, agrémentée d’une gelée. L’ensemble se cuisait dans un moule, chemisé d’une détrempe de farine et d’eau. Du genre de celle utilisée pour luter une cocotte, pour réaliser un joint d’étanchéité entre le réceptacle et son couvercle, avant la mise au four. Cette pâte a la particularité de durcir à la chaleur, et n’est, par conséquent, pas vraiment comestible. Elle conservait à la farce son moelleux, en permettait la conservation et le transport. Une ordonnance de Jean le Bon (1351) menaçait les chair-cuitiers de graves sanctions si ils gardaient la préparation plus d’un jour, ou la réalisait avec des viandes corrompues. Les chair-cuitiers, marchands de viandes cuites, par opposition aux bouchers, ayant le monopole de la viande crue. Continuer la lecture

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Le grondement de l’ours au fond de la grotte

Les Homo sapiens, du moins les plus raffinés, aimaient à jouer avec les sons. Avec un os de vautour, ils avaient conçu une flûte primaire en perçant des trous. Ce qui avait permis à son concepteur de jeter, en toute ingénuité, les bases de l’harmonie. Cela n’a l’air de rien mais quand on écoute une sonate de Corelli, on peut se rappeler que les délicates notes émises par le violon, le clavecin ou l’archiluth, viennent de là. Et plus exactement de la grotte Chauvet, dont on a exploré le contenu il y aura trente ans en décembre. Cette cavité de 8500 mètres carrés où vécurent deux groupes d’individus, en deux époques successives, la première il y a plus de trente mille ans. Des chercheurs se sont donc appliqués à reconstituer des empreintes sonores, jusqu’à obtenir l’effet émis par un ours hurlant sa joie ou sa peine, en tout cas se signalant ainsi aux importuns par un affreux grondement. Depuis la découverte par trois archéologues amateurs, Christian Hillaire, Éliette Brunel et Jean-Marie Chauvet, du côté de Pont d’Arc en Ardèche, les mises au jour de trésors pariétaux se sont accumulées, nous donnant à mieux connaître nos très lointains aïeux, dont le cerveau, comparativement aux néandertaliens, était conçu pour une évolution prometteuse. Un documentaire de la chaîne Arte, torche en main, nous fait passer par le trou souffleur conduisant aux mirifiques parois. Continuer la lecture

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L’ombre portée d’un pharaon

Quand elles sont bien faites, les reproductions semblent reprendre à leur compte, les vibrations les plus intimes du modèle original. En tout cas, celles que le sculpteur s’est appliqué à façonner. Cela donne, pour cette effigie d’Amenhotep II, l’image d’un homme serein et beau. Investi par les dieux, jouissant de ce fait d’un pouvoir absolu, celui que les grecs appelaient Aménophis, pouvait arborer la satisfaction de celui qui peut s’accorder tous les caprices, y compris le plus « jouissif » d’entre eux: la guerre, le massacre éperdu. Il conserve encore un certain mystère vu qu’il vivait bien longtemps avant notre ère, dans les 1500 ans sans doute. L’original de cette reproduction se trouve au Museum of Fine Arts de Boston. Sa fiche indique que ce petit trésor a été exhumé en Égypte en 1899 par un certain William Matthew Flinders. Les pharaons reviennent de temps à autre dans l’actualité et donc parmi nous, au gré des découvertes. Il se trouve que cette année le ministère Égyptien du tourisme et de l’Antiquité a annoncé qu’un palais ayant appartenu au père d’Amenhotep II, avait été mis au jour. Ce père dénommé Thoutmôsis III, se serait servi de cette enceinte afin de se reposer entre deux batailles. Peu importe les conjectures au fond, tellement ces grands morceaux d’histoire, qui sortent de terre nous impressionnent. Continuer la lecture

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La quête identitaire de Julia Perazzini

La scène contemporaine suisse ne cesse décidément de nous étonner ! Après le décapant “Cécile” de Marion Duval (1), voici que la comédienne-metteuse en scène Julia Perazzini nous offre, dans un autre genre, une performance tout aussi bluffante. “Dans ton intérieur”, spectacle auto-mis en scène, interroge le rôle joué par le regard des autres dans la quête identitaire de l’artiste suisse. Après “Le Souper” (2019), où elle imaginait une rencontre avec son frère aîné décédé avant sa naissance, l’artiste part en quête d’un autre membre fantôme de sa famille: le grand-père paternel italien dont elle porte le nom et qu’elle n’a jamais connu. La comédienne y expérimente le dispositif de l’investigation et incarne tous les personnages de cette épopée, faisant de son outil de recherche artistique un moyen de connexion avec les autres et elle-même. Brillant ! Continuer la lecture

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Revivre l’épopée portuaire de Hong Kong

En quête d’une odyssée extraordinaire ? Rendez-vous sur le quai numéro 8 (Central Pier 8) pour embarquer à bord du HKMS (Hong Kong Maritime Museum). Naviguant d’une collection à l’autre, chacune relatant un fragment du riche héritage marin du Port au Parfum, vous vivrez un voyage dans le temps époustouflant, avec en toile de fond, des jonques aux voiles tendues par des bambous, des pipes et jars à opium, des porcelaines de Chine, des peintures épiques témoignant de l’activité des Compagnies des Indes orientales, des manuscrits contant des histoires de pirates, etc. Sillonner la mer de Chine d’une dynastie à l’autre, puis jeter l’ancre au turbulent Victoria Harbour étourdit, parfois au risque de perdre le cap. D’ailleurs, n’est-ce pas le moment opportun de faire le point, tandis que la Semaine Maritime 2024 de Hong Kong (Hong Kong Maritime Week 2024) s’ouvre. Ce rendez-vous annuel de toute la filière navale (du 17 au 23 novembre) se destine à tirer les leçons du passé, analyser le présent, deviner le futur pour mieux propulser (« to propel » lit-on sur sa description officielle) Hong Kong sur une route florissante, avec son étendard, flottant au vent, de Place internationale prestigieuse. Continuer la lecture

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Les frissons de la guerre froide

« Ceux qui ne se souviennent pas du passé sont condamnés à le répéter. » Ce célèbre aphorisme n’est signé ni de Freud, ni de Karl Marx ni de Winston Churchill, comme on le croit souvent, mais de George Santayana, écrivain et philosophe hispano-américain (« La Vie de la Raison », 1905). Ce qui est vrai pour les peuples comme pour chacun de nous: faire un petit tour en arrière permet d’éclairer le chemin. Alors pourquoi ne pas se pencher (ou se re-pencher) maintenant sur la somme de mille-deux-cent-quarante-seize pages consacrée en 2002 à « La Compagnie – Le grand roman de la CIA » par Robert Littell ?
En dehors d’être le père de Jonathan Littell (prix Goncourt pour « Les Bienveillantes » en 2006), Robert Littell est né en 1935 dans une famille juive de Vilnius émigrée aux États-Unis vers la fin du dix-neuvième siècle. Il fera un détour par l’US Navy avant de devenir grand reporter à Newsweek pour le Moyen Orient et la Russie. Dès les années 1970, il publie son premier roman d’espionnage, un peu comme John le Carré mettant à profit sa brève carrière d’espion au service de sa Majesté pour se lancer dans la littérature. La comparaison est pertinente, puisqu’ils deviendront, à quelques années près, de part et d’autre de l’Atlantique, les deux grands écrivains du genre, et que leur terrain de chasse sera longtemps le même, celui de la guerre froide. Mais disons que John le Carré est un pur romancier, là où Robert Littell est plus proche du journalisme en mêlant constamment, pour notre bonheur, personnages historiques et personnages de fiction. Continuer la lecture

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Paul Éluard, dernier bilan

Pour ses pairs qui s’étaient mis au service de l’ennemi, Paul Éluard avait écrit un poème, lequel pour être joliment écrit, n’en était pas moins impitoyable. Paru dans Les Lettres Françaises, aussi court que son titre était long, il se concluait ainsi: « Mais voici que l’heure est venue/De s’aimer et de s’unir/Pour les vaincre et les punir ». Ce faisant il avait pris de l’avance en rédigeant ce texte en 1943 , alors que l’issue de la guerre était encore bien incertaine. Les auteurs du dernier récit biographique autour d’Éluard paru chez Seghers, citent à son propos le poète Guillevic disant de son confrère: « C’était un homme de passion et de violence (…) pas un petit élégiaque ». Ce livre signé Olivier Barbarant et Victor Laby, a ceci d’intéressant entre autres choses, c’est qu’il souligne les contrastes d’une personnalité bien moins lisse qu’en apparence et qui marqua son siècle. Dont on parle régulièrement. Ne serait-ce que récemment, lors de la disparition à cent ans de la résistante Madeleine Riffaud, à laquelle Paul Éluard avait rendu hommage. Pas forcément commode le poète, mais il avait été nettement plus indulgent avec les femmes scalpées à la Libération pour avoir couché avec l’occupant. Continuer la lecture

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Rires artificiels

Il faut imaginer un gars qui se rendrait à la perception du Trésor Public avec la prémonition d’un redressement sévère. Et qu’une fois l’amende signifiée par l’agent des impôts avec toute la neutralité requise, le contribuable repartirait en réprimant un fou-rire au risque de susciter à la sortie, un étonnement chez les passants. On peut aussi se figurer une personne brutalement plaquée par l’amour de sa vie et qui organiserait chez elle, le soir du matin de l’annonce, une fête à tout casser. Se tenir les côtes alors que l’on vient d’affronter une vraie contrariété, se marrer comme un bossu lors d’un sévère revers de fortune, voilà ce que l’on peut obtenir avec du rire synthétique, chose dont il est moins question en ce moment que l’intelligence artificielle. L’idée n’en est pas moins fascinante. Il se trouve que cette année, l’Inserm a publié en ce sens, le résultat d’une étude effectuée par deux chercheurs, ayant trouvé le moyen de substituer, plus sûrement qu’un anti-dépresseur, le bonheur au malheur. Que deviendrait l’art, la littérature ou le théâtre dans un monde exclusivement rigolo? Ne serait-ce finalement pas étrange que de rire à gorge déployée devant une Bérénice elle-même pliée en deux devant un amour contrarié? La tragédie de Racine aurait-elle encore un sens? Continuer la lecture

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Fastes chinois

Le musée Guimet veut nous en mettre plein la vue en cette année 2024, nous verrons pourquoi. La façade extérieure droite est recouverte de voile de tulle rouge chinois, sur lequel se détache d’étranges créatures abritées dans des niches. À cette distance, on a du mal à distinguer ce curieux bestiaire, sorti, avec l’aide de l’intelligence artificielle bien entendu, de l’imagination de Jiang Qiong Er, plasticienne et designer originaire de Shanghai. Plus bas, le long de la grille, les douze créatures fantastiques inspirées de légendes chinoises sont reproduites sur des panneaux en couleur, ce qui leur va mieux que cette teinte uniforme tout là-haut dans leur niche. On retrouvera ces « Gardiens du Temps » à l’intérieur, exposés dans la superbe rotonde de la bibliothèque du premier étage, ayant revêtu cette fois l’allure de petites statues en bronze. Oreilles gigantesques, queues en plumeau ou en traîne, joyeux dragon à volutes, ce bestiaire fantastique a quelque chose de comique. On ne voit pas très bien en quoi il s’inscrit dans cette année du dragon qui est celle du soixantième anniversaire des relations diplomatiques entre la France et la Chine. Souvenez-vous: de Gaulle reconnaîtra l’existence de la Chine en 1964 (« Elle existe de plus en plus », aurait-il dit), et pour cette année de célébration, le président chinois nous a honoré de sa visite d’État au mois de mai dernier. Continuer la lecture

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Seghers dans les jardins de Saadi

En matière de pacifisme, Houlagou Kahn, le petit-fils de Gengis Kahn, avait pour le moins une réputation à parfaire. Mongol à l’esprit destructeur, opérant du côté de l’Irak, il mit à sac Bagdad. Durant quarante jours, il brûla les palais, les collèges et les bibliothèques, égorgea les enfants et les hommes, réserva les captives pour ses troupes. Afin de faire bonne mesure, il exécuta le calife et ses deux fils. Ceci se passa l’année même où le poète Saadi acheva la rédaction du « Gulistan » (jardin des roses) fameux recueil de poèmes et d’anecdotes, comme écrites au son d’un luth. Après Omar Khayyâm et Hâfez, les éditions Seghers publient dès aujourd’hui le troisième volet des poètes persans, traduits et introduits par Pierre Seghers. Le tout dans cette édition carrée si joliment maquettée, se reconnaissant au premier coup d’œil. Nous sommes au pays des livres et plus que jamais, il convient de défendre cette position, des signes d’appartenance, en un temps où tout se défait précisément comme une ceinture de roses. Continuer la lecture

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