Et Marie-Clémentine devint Suzanne Valadon

Dans la deuxième moitié du 19e siècle, les images photographiques n’étaient pas encore bien fréquentes et encore moins les séquences animées. Afin de réaliser un documentaire alerte sur l’artiste Suzanne Valadon (1865-1938), la réalisatrice Flore Mongin, a eu recours à un artifice des plus plaisants. Elle a introduit une dose de dessin animé (signé Coline Naujalis) dans son film. Ce qui fait qu’au lieu d’un pensum noir et blanc avec des images d’archives, mais grâce aussi à la présence d’une agréable bande-son, on adhère tout de suite à cette proposition. Celle qui raconte la vie peu ordinaire d’une Marie-Clémentine, se transformant en Suzanne, un jour de rupture avec son passé de modèle. Celle qui fait actuellement l’objet d’une monographie au Centre Pompidou (lequel refuse avec opiniâtreté de fermer pour cause de travaux), avait à peu près tous les atouts pour connaître une destinée médiocre. Pauvre, elle fut ouvrière-blanchisseuse avant d’accepter de poser nue pour des artistes de Montmartre, activité qui lui servit de marchepied vers une émancipation déterminée. Encore une pépite dénichée sur la chaîne Arte qui en est décidément prodigue. Continuer la lecture

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Apollinaire dans les cieux dinardais

Picasso annotait ses carnets de dessin: en l’occurrence ceux de Dinard et encore plus précisément, deux pages du 3 août 1928. C’était la seconde fois qu’il venait à Dinard, la petite cité balnéaire de Bretagne en bord de Manche. Il y était déjà venu en 1922, mais il s’était décidé à y retourner six ans plus tard, afin d’atténuer les effets de la canicule qui frappait le pays. L’artiste était accompagné par sa femme Olga Khokhlova, ex-danseuse des Ballets Russes et de leur fils Paulo, né en 1921. Il avait loué la villa Les Roches brunes et il rejoignait de temps à autre Marie-Thérèse, sa nouvelle maîtresse, logée en douce dans un camp de vacances. Une période prolifique pour le peintre lequel s’inspira de ce qu’il voyait sur les plages, pour peindre notamment, ses célèbres « baigneuses » topless. Il ne cessait de penser à Guillaume Apollinaire, disparu en 1918. D’abord parce que c’était un ami dont il parlera encore à voix haute le huit avril 1973, avant son dernier souffle. Et ensuite en raison d’une souscription lancée quelques années plus tôt, pour la réalisation d’un monument destiné à remplacer la simple croix fixée sur la tombe de l’écrivain, au cimetière parisien du Père Lachaise. Un projet qui fit toujours couler de l’encre, singulièrement en 1999, dans un catalogue d’exposition publié à l’occasion d’une exposition entre Picasso et le sculpteur Julio Gonzalez (1876-1942). Continuer la lecture

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Sitges, un coup de cœur catalan

À 40 km de Barcelone, Sitges, 32.000 habitants, est une heureuse surprise. On s’attendait à une banale station de bord de mer, envahie de touristes nourris au tempo de la fête. Rien de tel en février. Une ville calme mais vivante avec ses nombreux petits commerces. Et une ville de toute beauté composée d’un entrelacs de ruelles étroites qui s’étendent jusqu’à la mer. Rappelons qu’aux XVIIIe et XIXe siècles, des centaines d’habitants de Sitges émigrèrent vers les colonies espagnoles du Nouveau monde pour y chercher fortune. Ils exportaient chaussures, vins, et alcools produits localement et importaient café, cacao, sucre, coton, tabac… À leur retour à Sitges, la prospérité des « Américains » -comme on les appelait- leur permettait de se faire construire de splendides demeures. On peut admirer ces belles villas néoclassique, Art nouveau ou moderniste en suivant l’itinéraire des « Américains » de Sitges. Au-delà de leur résidence, les « Américains » ont participé au développement économique de la Catalogne en investissant dans ses infrastructures et ont joué un rôle de premier plan dans la transformation de Sitges. C’est ainsi que le modeste village de pêcheurs est devenu une station balnéaire bourgeoise. Continuer la lecture

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Porte des Lilas

« Porte des Lilas » est un film de René Clair, tourné entre décembre 1956 et février 1957, aux studios de Boulogne. Il adapte un roman de René Fallet, « La grande ceinture ». Un film en noir et blanc à l’atmosphère gris sombre. L’intrigue se déroule dans la Zone, quartiers populeux situés à la périphérie de Paris, au-delà des anciennes fortifications. Initialement dévolue aux manœuvres militaires, cette bande de terre fut progressivement occupée par des ateliers, des habitations ouvrières, des refuges de marginaux. Le tracé du périphérique a pris sa place.
Barbier, un malfrat poursuivi par la police force deux bons à rien, Juju et l’Artiste, à le cacher. L’Artiste, un gratte-guitare un peu anar, le planque dans sa cave. Juju, fainéant porté sur la bouteille, devient le protecteur de Barbier, dont il envie le culot et l’assurance vis-à-vis des femmes. Justement, il y a Maria, fille du mastroquet local, à qui Juju porte un amour sans espoir. Mais elle ne résiste pas au charme de Barbier, dont elle devine rapidement la présence clandestine. Barbier se comportant vis-à-vis d’elle comme un gougnafier, finalement, Juju le révolvérise. Clap de fin. Continuer la lecture

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Le partisan

Ce serait le moment de découvrir ou redécouvrir Leonard Cohen à travers une archive INA qui nous tend les bras sur le Net. On y voit son visage en gros plan, uniquement son beau visage face au micro, en noir et blanc, lors d’une captation live de la chanson « The Partisan ». Morceau figurant dans son deuxième album studio « Songs from a Room », enregistré en 1969 à Nashville, Tennessee, capitale de la musique country.
Né le 21 septembre 1934 à Westmount, Québec, dans une famille juive d’origine russo-polonaise, le chanteur a trente-cinq ans lorsqu’il enregistre ce second album Columbia. À peine deux ans plus tôt, « Songs of Leonard Cohen », contenant une première version de « Suzanne », a reçu un bel accueil, une sorte de triomphe même, pour cet artiste canadien, à la fois poète, romancier, auteur compositeur interprète, et peintre. Ce second album est plus sombre, et on pourrait s’étonner, vu sa tonalité, que l’auteur ait voulu l’enregistrer dans la capitale de la country music. Certes « Bird on a wire » sera repris par quantité de country boys dont Johnny Cash, Willie Nelson ou Joe Cocker. Mais d’autres chansons comme « Story of Isaac » ou « The Partisan » relèvent d’une autre inspiration, la première se référant naturellement à ses origines juives. Continuer la lecture

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Ces missives que nous timbrâmes

Un publicitaire est une personne à l’affut. Il guette les évolutions de son époque. Et s’il est très fort, il les anticipe. Le musée de la Poste à Paris a eu la bonne idée de créer une exposition sur ce moment de déclic  où l’ampoule s’allumait dans le cerveau de l’homme de l’art. Et le moment précis où pour des raisons pratiques, la Poste mit au point le carnet de timbres et où encore, presque concomitamment, les acteurs de l’ombre, voyant la vierge couverture du carnet, se dirent « oh la belle place à prendre ». Cela commença avec des pubs pour les automobiles, des soies, des médicaments. L’initiative fit florès jusqu’aux années 90 et s’épuisa lentement, vaincue par les courriers électroniques. Toutes ces missives que l’humanité timbra, reflétèrent par carnets interposés, les progrès et les plaisirs. C’est pourquoi les gens forcément élégants de chez Schweppes, enhardis par le jaune du carnet qui allait de pair avec le jaune de leur capsule, purent imprimer (voire ci-contre) ce slogan fort spirituel: « Affranchit aussi de la soif. » Continuer la lecture

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Paquita et Consuelo

Sa popularité, elle ne la devait pas à son physique. Robuste et bien en chair, Paquita la del Barrio (« Paquita, celle du quartier ») ne possédait pas les mensurations exigées d’un concours de beauté. Mais la chanteuse mexicaine immensément célèbre dans son pays, qui vient de disparaître à l’âge de 77 ans, avait un atout bien plus important: l’authenticité. Le public le plus populaire se reconnaissait en elle. Née dans un milieu pauvre à Veracruz, Paquita (diminutif de Francesca) manifesta très tôt des dons musicaux qu’elle mit au service de chansons très revendicatives sur la condition féminine, dans le pays qui a pratiquement inventé le machisme. L’une des plus populaires de ces typiques « Rancheras » s’intitulait « Tres veces te engañé » (1). Elle s’adressait au mari  autoritaire et volage dont elle se vengeait, elle qui était « sottement » restée fidèle: « Trois fois je t’ai trompé; la première fois par colère; la deuxième fois par caprice; et la troisième par plaisir. Et au bout de ces trois fois, sache que je ne veux plus te voir. » Sur scène, elle ponctuait sa chanson d’une formule assassine à l’adresse du mari:  « ¿Me estas oyendo, inútil ? » (« Tu m’entends, bon à rien? »). Continuer la lecture

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Majuscule!

Contrairement aux points de suspension chargés de sous-entendus, le point d’exclamation donne au mot qui le précède, l’effet d’une déflagration. Dans les messages courts, dans les e.mails, il est partout. Pour donner de la force à l’amour, apporter de l’énergie à l’indignation, amplifier le triomphe ou l’insulte, il n’a pas son pareil. Sans lui tout paraît fade, il est l’épice de l’écriture. Un « bon anniversaire » ou un « je t’aime », sans cette ponctuation gonflée au kérosène, et tout devient terne. Suivi de ce signe, un « je te quitte » en arriverait presque à être gai, au point qu’il est parfois suivi d’un « bon vent! » sur le même ton et pour solde de tout compte. Cela devient problématique de s’exprimer sans lui, sauf à passer pour le cousin d’un croque-mort au teint olivâtre. D’ailleurs dans ce domaine et c’est pour dire, il reste recommandé de ne pas utiliser le point d’exclamation après le mot condoléances. L’effet serait fâcheux. Il peut convenir en revanche pour le « repose en paix », dans la mesure où il s’agit alors d’un cri destiné à porter loin en hauteur, afin d’accompagner l’âme chérie qui s’élève. Le point d’exclamation relève donc de l’écriture vitaminée. Mais sur-utilisé, notons qu’il a tendance à devenir contre-productif, à atténuer ce qu’il est censé mettre en valeur. Continuer la lecture

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Scabreux

Tous les témoignages concordent: en 1955, « L’Origine du monde », de Gustave Courbet, fut accrochée dans le bureau du docteur Jacques Lacan, à Guitrancourt, près de Mantes. Cachée, à la demande de Sylvia (Sylvia ex-Bataille, née Maklès , seconde épouse du docteur), derrière un panneau orné d’un paysage esquissé, réalisé par André Masson, son beau frère. Rapport aux voisins et à la femme de ménage « qui ne comprendraient pas », vue la particularité du sujet.  Cachée fut le destin initial de cette œuvre. Cachée, en 1866, dans la salle de bain de son premier propriétaire, Khalil- Bey, derrière un rideau vert. Des dettes de jeu le conduisent à la céder, trois ans plus tard. Le tableau disparaît jusqu’en 1889.
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Renée Hamon, le nom effacé d’un petit corsaire

La probabilité pour que deux personnes aient en même temps l’idée de rendre visite à Renée Hamon, là où elle est inhumée, est bien faible. Sauf miracle que l’on espère toujours un peu, instinctivement, la visite est solitaire. On distingue encore les deux noms de famille, sur la pierre couverte de lichens, située dans le quartier « C » du cimetière Saint-Gildas à Auray (56). Gontier, c’est là son origine limousine par sa mère. Et Hamon, son patronyme de naissance, qu’elle doit naturellement à son père breton. Cette grande amie de Colette (1873-1954) est née en 1897 à Vitré (35) et elle est décédée d’un cancer en 1943 à Vannes, avant d’être inhumée à Auray. Renée Hamon vouvoyait son aînée qui la tutoyait en retour, mais l’attachement était grand. Elle l’appelait son « Petit corsaire » car Renée était une aventurière, laquelle partit un jour en bateau, croiser dans les eaux tièdes du Pacifique. Dix ans après la mort de Colette, un livre fut publié à son sujet, intitulé « Lettres au petit corsaire ». Une centaine de lettres qui révélaient une affection mutuelle évidente. Sans compter l’admiration sans bornes que lui vouait sa destinataire. Continuer la lecture

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