Et c’est dans ce cadre, par cette ambition, qu’un projet a été retenu visant à modifier l’aspect de la place de l’Europe-Simone Veil. Avec ses vastes perspectives, elle reste un endroit pas désagréable à traverser. Et seul un œil exercé peut identifier l’embellissement dont elle a fait l’objet en son centre. Voyez (en plissant les yeux) le très discret liseré qui souligne le cercle central. Le peintre Caillebotte et plus tard le photographe Henri Cartier Bresson avaient de ce lieu, fait le substrat de leur inspiration sans qu’ils eussent pourtant dénoncé son absence de charme. La place de l’Europe (pas encore Simone Veil), située juste au-dessus des voies de la gare Saint-Lazare, était juste un lieu bien dans son époque, un symbole de modernité notamment matérialisé par les transports, la vitesse, la liberté de se déplacer à toute vapeur.
Pour une fois s’agissant de Paris, l’intervention a donc été des plus discrètes. Elle tient davantage du maquillage que d’un lourd chantier. L’artiste Nathalie Junod Ponsard, perceuse en main, a ceint le rond-point de disques coloriés faisant penser, de loin (c’est à dire du trottoir) à ces vieux disques compacts que d’aucuns accrochent à leurs balcons afin de faire fuir les pigeons. Les disques en question sont bien plus élaborés que de vagues CD, incrustés de perles de verre rétro-réfléchissantes. Le phénomène ne saute pas immédiatement aux yeux, surtout en journée. Les couleurs bleu et jaune sont là pour rappeler le drapeau européen. Un communiqué diffusé à l’intention des journalistes dans le courant de l’été se laissait aller à un certain lyrisme en pointant un agencement général qui rendrait hommage au rêve de paix européen. Le scintillement des perles blanches, rouges ou vertes, peut même faire penser disait-il « au fruit mûr dans un arbre que l’on cueille« . Sachant par ailleurs que « l’œuvre épouse le cercle » et de par sa nature « panoramique« , elle entraîne le passant « à se déplacer tout autour de la place pour saisir son essence« .
Comme si l’on n’avait pas bien compris que l’ensemble n’était pas juste de la déco urbaine, le communiqué rajoutait (entre deux bouffées d’herbe illicite peut-être) que « Précieuse brillance entame alors avec l’atmosphère de la place une danse aux variations scintillantes et aux vibrations colorées« . Franchement cela méritait d’être précisé mais l’envolée ne s’arrêtait pas là puisque l’œuvre de Nathalie Junod Ponsard a également vocation à offrir aux « regards, en des mouvements ondulatoires, une expérience sensitive de l’espace et du temps où tout un chacun fait l’œuvre« . Wah, wah, wah, si l’argumentaire a été quelque peu brocardé sur Twitter on comprend pourquoi. La barque de la « précieuse brillance » a été un peu chargée en éléments de langage et il n’est que de s’y déplacer pour s’en rendre compte. Sa qualité réside dans sa discrétion et ce n’est pas un mince exploit répétons-le, s’agissant de Paris. Le petit rond-point de la place de l’Europe est désormais garni d’un bracelet coloré rappelant que voici quarante ans, Simone Veil était élue à la tête du parlement européen. L’hommage est si modeste qu’il ne devrait pas créer la polémique. On pourra le trouver joli ou laid sans risquer la crucifixion.
Difficile de s’ébaubir en revanche face aux fameuses fontaines contemporaines installées au bas des Champs Elysées et qu’il est bien difficile de manquer à moins d’éviter le quartier. Imaginées par les designers Erwan et Ronan Bouroullec, elles détonnent pour le moins en empruntant semble-t-il, au style des trayeuses industrielles. Ce n’est même pas ici une question de goût. Ce qui interpelle, c’est la vacuité de l’intention. Comment a-t-on pu manquer de jugement pour déparer à ce point un endroit réputé féérique dans le monde entier, c’est un mystère. « C’est là où le peuple défile quand la guerre est finie, quand la France remporte une compétition mais aussi pour exprimer sa colère, à l’instar des “gilets jaunes”. Aussi avons-nous voulu réaliser un projet populaire dans le bon sens du terme : une surprise délicate, une source d’émerveillement » pouvait-on lire le 14 mars dans les colonnes du Monde par la voix de Ronan Bouroullec. La dernière mouture qui datait de 1932, était signée de René Lalique, mais n’avait pas survécu paraît-il à la liesse ayant suivi la victoire de la France lors de la coupe du Monde de 1998. L’occasion de tenter un triple saut créatif n’a pas été manquée par nos édiles toujours en veine d’imagination lorsqu’il s’agit de déplaire.
Ce n’est pas terminé. On attend courant septembre, la mise en place du bouquet de tulipes géant signé Jeff Koons (1) derrière le Petit Palais. Avec la récente implantation du cœur écarlate de Joana Vasconcelos (2), juché en haut d’un mas porte de la Chapelle pour un prix à même de faire rêver les sans-abris qui campent autour, on voit bien que l’embellissement de la capitale n’est pas prêt de s’arrêter.
PHB
(1) Dans le Parisien daté du 23 août, il était écrit que les photos de la mise en place du bouquet étaient interdites car » (…) Jeff Koons n’aime pas que l’on photographie ses œuvres en cours de fabrication, de transport ou de montage« . Tout pour plaire décidément. La ville n’aurait financé que le socle en béton, sur les quelque 3,5 millions d’euros de la note finale.
Gly-faux- art !
Consternantes, en effet , les fontaines du Rond-Point, de jour surtout,quand les LED ne fonctionnent pas encore. De jour, on dirait des derricks évidés, la nuit ce n’est pas franchement mieux…C’est moche et ça ne ressemble à rien. Avez-vous remarqué aussi que les beaux parterres fleuris qui entouraient les fontaines ont disparu laissant la place à de simples talus herbeux?
Ce ne sont pas des fontaines, ce sont des robinets.
Clinquants.
Il ne faut pas d’accent sur le U dans qu’IL FALLUT.
Il en aurait fallu si vous aviez écrit : » Paris était-il si laid qu’il fallût l’embellir ? »
C’est toute la différence entre un indicatif ou un subjonctif.
Le massacre architectural des places de Paris entrepris par la gestion hidalguienne est un exemple du constant mépris du patrimoine dont elle fait preuve, et de l’inculture qu’elle révèle.
Chaque place y passe à son tour, et La Tribune de l’Art de Didier Rykner en dresse le tragique bilan. L’un des derniers exemples étant d’avoir transformé la place de la Bastille en… supprimant la place, justement. La place de la Bastille n’est plus une place, mais une presqu’île!
Cette inculture et ce mépris du patrimoine se retrouvent partout, par exemple dans la prolifération des tours de grande hauteur ruinant la perspective haussmannienne. Que voit-on maintenant en bas des arches de l’Arc de Triomphe? Le nouveau Palais de Justice des Batignolles culminant à 160 mètres de hauteur, deuxième plus haut édifice après la Tour Montparnasse, qui fait de son côté l’objet d’un réaménagement consternant. Sans oublier le massacre des espaces verts…
Certaines de ces destructions sont réversibles, d’autres pas….