Deux grandes dames lyriques viennent de nous proposer leur dernier CD pour enchanter nos journées d’été. Une seule recette : les écouter encore et encore, et découvrir un pianissimo ici, une nouvelle couleur là, un air qui vous entre dans le cœur…
Dans « Sol y vida », la merveilleuse mezzo-soprano lettone Elina Garança nous entraîne dans l’univers méditerranéen le plus traditionnel, à Grenade comme à Naples, mais aussi jusqu’au Brésil, sans oublier de nous plonger dans le tango de Buenos Aires, qu’elle laisse sagement à un authentique «cantor ».
Quel magnifique parcours que celui de la belle native de Riga, grande femme superbe aux yeux bleus et longs cheveux blonds que nous avions découverte en 2005 dans le « Cosi fan tutte » de Mozart marquant le retour de Patrice Chéreau à l’opéra. Je m’étais dit qu’elle donnait peut-être un peu trop dans le genre froide beauté nordique pour faire carrière, mais la suite a balayé mes craintes légitimes.
Tout le mystère des grandes voix est là : les débuts peuvent être éblouissants et ne pas tenir leurs promesses, tant les pièges sont nombreux, tant le choix des rôles tient du pari, tant il faut de patience, de sagesse mais aussi d’audace, d’endurance, de modestie, de travail, d’amour de la scène. Des qualités multiples et contradictoires dont l’assemblage tient du miracle.
Dans son cas, non seulement la belle de Riga a su mener sagement sa voix et aborder des rôles de plus en plus dramatiques, mais elle a peu à peu appris à devenir aussi une actrice. Ce n’était pas une bête de scène comme la Netrebko, par exemple, et le tournant date sans doute de sa prise de rôle dans « Carmen » avec Roberto Alagna au Met en 2010. Ensuite, ce fut merveilleux de la voir s’affirmer sur scène, tandis que sa voix s’épanouissait, gardant son brillant, son velours et ses couleurs la quarantaine tout juste venue. On se souvient encore de ses déchirements en princesse Eboli dans le fameux « Don Carlos » signé Warlikowski à l’opéra Bastille en 2017, en compagnie de Jonas Kaufmann et Ludovic Tézier.
Et voilà la fille des brumes nordiques plongeant dans les fureurs méditerranéennes, ce qui témoigne d’un beau culot quand on connaît son parcours ! Mais on s’étonne un peu moins sachant qu’elle a épousé le maestro gibraltarien Karel Mark Chichon, et on se dit qu’il y est sûrement pour quelque chose.
On est d’abord un peu surpris d’entendre une voix féminine entonner des « standards » comme « Granada », « Core’ngrato », « Marechiare », « O No puede ser », que tous les ténors de l’Histoire ont chanté, de Caruso à Kaufmann en passant par di Stefano ou Pavarotti, comme on peut l’entendre sur YouTube. Autre étonnement : elle les interprète avec un timbre particulièrement clair pour une mezzo, ce qui redouble notre surprise et nous interpelle sur ce choix, puis nous fait saluer sa double audace !
Autre diva que l’on ne présente plus, la soprano américaine Renée Fleming qui fit pendant trente ans les beaux soirs du Metropolitan et des scènes du monde entier. Elle aussi est blonde aux yeux bleus, elle aussi est d’une rare beauté, plus suave que celle d’Elina, et maestro Georg Solti la fit entrer dans la légende en parlant autrefois de son « soprano double crème », que certains lui reprochèrent, trouvant qu’elle exagérait dans la suavité.
Mais depuis elle s’est affirmée comme une des grandes mozartiennes de l’époque, abordant ensuite aussi bien Desdemona dans « Othello » de Verdi que la magicienne « Armida » de Rossini, la « Russalka » de Dvorak ou la Maréchale du « Chevalier à la rose » de Strauss.
Son répertoire immense, sa technique éblouissante et sa beauté suave semblent défier le temps, mais la soixantaine approchant, le New York Times crut bon d’annoncer en avril 2017 : « The Diva Departs : Renée Fleming ‘s Farewell to Opera ».
Renée garda tout son sang-froid, et précisa alors qu’elle ne faisait pas ses adieux à l’opéra mais au rôle de la Maréchale du « Chevalier à la rose » de Strauss au Met, le 13 mai suivant. Mais ce rôle n’était-il pas parfaitement emblématique, puisqu’au début de l’opéra, la Maréchale tente de convaincre son jeune amant Octavian que leur liaison ne peut durer toujours, puis elle va le pousser dans les bras de la jeune Sophie.
Ainsi, parfois , « Life imitates art », et la Fleming devait bientôt préciser qu’elle continuerait à pratiquer le chant à plein temps, même si elle n’affronterait pratiquement plus les grandes œuvres lyriques, véritables épreuves de fond pour athlètes de haut niveau. En ce moment même, elle triomphe à Londres dans le « musical hit » de Broadway « The Light in the Piazza ».
Quant à son dernier CD consacré au lied, il témoigne que sa voix comme sa maitrise sont toujours exquises. Elle se partage entre Brahms, Schumann et Mahler, sachant donner à chacun d’eux la couleur qui lui revient, comme le recommandait sa grande devancière es lieder Elisabeth Schwartzkopf. C’est d’ailleurs à cette dernière qu’elle m’a fait penser, ce qui n’est pas un mince compliment.
À côté de ces deux grandes dames, une nouvelle étoile lyrique norvégienne de trente-deux ans, Lise Davidsen, nous propose, elle aussi, son dernier opus : le label Decca a repéré à Londres, en 2015, cette gagnante du concours Operalia (fondé par Placido Domingo en 1993 pour découvrir les voix nouvelles), et n’a pas tardé à la prendre sous son aile. Ainsi peut-elle s’offrir le Philharmonia Orchestra londonien, dirigé par son chef star Esa-Pekka Salonen.
Programme royal : les deux grands airs d’Elisabeth du « Tannhäuser » de Wagner, puis quelques lieder de Strauss dont les « Quatre derniers lieder ». Cela lui suffit pour déployer son ample voix de soprano lyrique dramatique.
Elle a tout de la wagnérienne type, cette ample voix, cette longue tessiture comme sa stature, comme nous l’avions découvert lors de la soirée Decca du 18 février dernier au théâtre de l’Œuvre dont je vous avais parlé ( 7 mars, « Julie, Jodie et Edgar sur de nouveaux chemins » ) : le label fêtait ses quatre-vingt-dix ans, en nous rappelant son (très) prestigieux palmarès et en nous présentant trois petits nouveaux, dont Lise la norvégienne walkyrie.
Sa voix m’avait semblé presque trop puissante pour ce lieu modeste, mais en écoutant ses « Quatre derniers lieder », sommet de l’art vocal féminin, me voilà rassurée.
Autre sortie toute récente, et autre grande dame française cette fois, la mezzo Karine Deshayes parmi la distribution du « Tarare » d’Antonio Salieri, tout juste sorti chez Aparte, dernière réalisation des « Talents lyriques » fondés en 1991 par Christophe Rousset.
Quelle foisonnante activité que celle du claveciniste et maestro Christophe Rousset, promoteur du baroque et directeur d’académies et de master classes partout dans le monde, découvreur inlassable d’œuvres de Monteverdi, Cavalli, Lully, Mondoville, Mozart, Salieri, Rameau, et bien d’autres.
J’ai trouvé un peu dommage, à ce propos, que l’Auditorium de la Seine musicale de Boulogne-Billancourt ne soit pas plus garni, le 22 juin dernier, lors de leur représentation de « La Betulia liberata », oratorio d’un Mozart de quinze ans alors en Italie. Mais elle sortira chez Aparte.
Quant au « Tarare » d’Antonio Salieri tout juste ressuscité, qui aurait pensé que le soit disant ennemi intime de Mozart nous tiendrait en haleine pendant plus de deux heures avec cette histoire d’enlèvement au sérail en langue française? Il est vrai que Salieri, alors hôte de la France, eut Beaumarchais pour librettiste. Et que Christophe Rousset a pu du coup concocter une distribution très française avec Karine Deshayes et autres (notamment les bien connus Cyrille Dubois et Jean-Sébastien Bou), aussi déchaînés que le maestro et ses musiciens.
Lise Bloch-Morhange
Pour découvrir de jeunes voix françaises en ce moment à l’opéra :
« Madame Favart », Offenbach, Opéra Comique, jusqu’au 30 juin
« Iphigénie en Tauride », Gluck, Théâtre des Champs Elysées, jusqu’au 30 juin
« voilà la fille des brumes nordiques plongeant dans les fureurs méditerranéennes »
rien que pour ça, chère Lise, vous êtes irremplaçable !
Merci pour ce bel article… mais cette étalage de beautés chantantes un jour de canicule, c’est trop pour un mâle français d’âge mûr !
Ceux qui ont regardé les vidéos d’Elina Garanca sur You Tube me comprendront !
Quelle Carmen !
Si Afflelou était un peu mélomane, il dégagerait Sharon Stone et prendrait comme vous le dîtes, la « belle native de Riga »…
Encore merci, Lise
Merci Philippe
pour ce charmant commentaire, qui me donne l’occasion de préciser que c’est bien son Chichon de mari gibraltarien qui accompagne la belle de Riga au disque…