Lorsqu’elle apparaît dans « Pépé le moko » en 1937 aux côtés de Jean Gabin, Fréhel joue le rôle d’une chanteuse au succès oublié. Comme sa vie à ce moment-là. Elle a pris trop de poids, son corps s’est abîmé. Trop de fêtes, trop d’alcool, trop de « coco » enfin ont laissé loin derrière elle le moineau de Paris qu’elle était. Dès qu’elle apparaît à Paris en 1891, ses parents l’abandonne à sa grand-mère bretonne. Ce sont les vaches qui compteront parmi ses premiers auditeurs. Avant, bien des années plus tard, de faire le show devant des vaches roumaines. L’histoire de cette femme notamment connue pour avoir chanté « La java bleue » nous est racontée en BD par Johan G.Louis avec beaucoup de délicatesse.
Et de la délicatesse il en faut bien pour cette môme maltraitée par ses parents à partir du jour où elle revient chez eux. Marguerite Boulc’h de son vrai nom est contrainte de se débrouiller comme elle peut tandis que sa maison lui est interdite parce que sa mère s’y prostitue. Mais c’est aussi comme ça, d’étape en étape, de caniveau en caniveau, qu’elle va finir par se faire remarquer grâce à sa capacité de chanter, sa gouaille, son insolence, son énergie. C’est son premier amant et futur mari Roberty qui la convainc d’adopter un nom de scène et qui lui propose « Fréhel » afin de faire référence à son enfance bretonne. Le toponyme Fréhel correspond à un fameux cap des Côtes d’Armor.
Beaucoup de ceux qui ont eu une enfance cassée ne cessent par la suite de chercher un réconfort dont ils ont toujours manqué. C’est pourquoi Fréhel se gave de succès, de l’argent qui va avec et de la coco dont elle abuse, pour avoir et l’énergie et l’illusion. C’est un personnage pathétique que l’on nous présente comme l’histoire plus récente en a connu d’autres (Janis Joplin ou encore Amy Winehouse). Il aurait fallu qu’elle se range un peu qu’elle se stabilise avec son premier homme ou encore avec Maurice Chevalier. Mais Fréhel leur propose un rythme intenable, auto-destructeur. C’est une comète qui ne cesse de se cogner aux astres qu’elle rencontre, collectionnant les bleus à l’âme autant qu’à la peau.
Son charme lui fait même connaître une duchesse russe qui l’emmène vers l’est via l’Orient Express. Sa vie de débauche la conduit de fête en fête, de bacchanales en bacchanales, jusqu’en Roumanie où elle tente de s’installer avec un militaire amoureux d’elle. L’affaire a failli marcher mais un gradé jaloux expédie son homme sur le front où il sera tué. C’est dans une ferme roumaine qu’elle tue le temps en chantant pour les vaches dont elle trait aussi le lait. Elle sera rapatriée par les autorités consulaires françaises en mauvais état. Fréhel connaîtra la deuxième guerre mondiale à l’issue de laquelle elle sera inquiétée pour être allée en Allemagne chanter pour les prisonniers sans vraiment savoir qu’elle était manipulée par une organisation ennemie. Elle périra seule dans la chambre d’un hôtel de passe de Pigalle en 1951. Mais il a été dit que la foule sera nombreuse à son enterrement au cimetière de Pantin.
Une chose frappe tout au long de cette bande dessinée réussie. L’auteur Johan G.Louis a bien compris que dès le début de la vie Fréhel, la mort la suivait à la trace. Cette camarde, il la représente sous les traits d’un fantôme à chapeau qui ne cesse, comme un cauchemar, une malédiction, de guetter sa proie. C’est l’une des grandes images de la fin.
PHB
« Fréhel » Johan G.Louis nada Éditions 288 pages 29,90 euros (13 septembre 2018)
Pour les personnes intéressées, je signale le livre de Nicole et Alain Lacombe intitulé « Fréhel » (Belfond, 1990).
Une citation : « J’ai pleuré, j’ai souffert, j’ai été heureuse plus que n’importe quelle femme sur terre… Des écrivains m’ont fait entrer dans leurs oeuvres : Colette, Mac Orlan, j’ai gagné de l’or. J’ai tout possédé… Bien sûr que j’y crois à mes chansons, si ça me plaisait pas, je leur chanterais des cantiques… »