Il sera ici question de langage, mais pas de linguistique. Nous ne parlerons pas des figures de style qui font la joie des champions du Scrabble ou des dictées de mairies d’arrondissement, comme les oxymores, les anacoluthes ou autres antonomases. Nous avons simplement pris un malin plaisir à répertorier et à décortiquer quelques expressions très courantes entendues fréquemment dans les réunions mondaines ou politiques autant que dans les cafés à heure de l’apéritif. Dans ces tics de langage très répandus, la langue française n’y est pas plus maltraitée qu’ailleurs, mais leur fréquence pose problème. Nous avons conscience qu’en stigmatisant ainsi ces expressions, nous nous plaçons un peu en-dehors. Si un lecteur nous faisait un reproche sur nos propres formulations, nous accepterions, mais en grimaçant, la critique.
Comme je dis toujours…
Une formule utilisée fréquemment pour démontrer qu’il va s’agir d’une vérité intangible, absolue, indiscutable. Si «je le dis toujours», c’est parce que je l’ai vérifié, éprouvé. On ne pourra donc émettre aucune réserve, aucune critique. Outre que l’on se fiche éperdument de ce tic de langage avoué par le locuteur lui-même, il est probable que ce qui va suivre (et donc qui est constamment répété) n’est une banalité de plus, ou pire une ineptie. La formulation même indique que votre interlocuteur n’a aucun envie de se remettre en question.
Si tout le monde faisait comme vous !
Un argument de procureur ou d’agent de police. Une phrase qui vous renvoie dans les cordes. La loi est la même pour tous. Il n’est pas question que vous y dérogiez, quelle que soit la situation. Le “ hic“ , c’est que cette phrase ne se prononce que lorsque, précisément, PERSONNE ne fait comme vous. D’ailleurs la seule riposte est la suivante : «Si tout le monde faisait comme moi … eh bien… je ferais autrement.»
Je vais vous dire quelque chose…
Le ton est menaçant, comminatoire. Attendez-vous à un coup de massue ou à une révélation de première importance. La suite est toujours décevante.
Au jour d’aujourd’hui
Exemple même du pléonasme inutile considéré à tort par certains comme une élégance de langage. À bannir. «Aujourd’hui» ou «À ce jour» sont largement suffisants.
Tu vois ce que je veux dire ?
Formule passe-partout, extrêmement répandue. Outre qu’elle prouve immédiatement le flou dans lequel se trouve l’interlocuteur, elle montre aussi la grande paresse de ce dernier. Ne vous risquez pas à dire la vérité («Non, je ne vois pas…»), ce serait l’imbroglio ou l’impasse. L’autre, très maladroitement, s’enferrera dans des explications encore plus floues. En fait il est probable que lui-même ne savait pas exactement ce qu’il voulait dire et vous appelait au secours.
Moi, je serais toi…
Oui, mais justement, moi, c’est moi et toi c’est toi.
Pas de soucis
Exemple typique du conflit des générations. Est utilisé systématiquement (et à tout moment) par les moins de 30 ans, ce qui agace au plus haut point les plus âgés qui, eux, utilisaient « pas de problème » sans subir le moindre reproche.
Vous n’êtes pas sans savoir…
Cette expression se veut urbaine et policée. Elle n’est que précieuse. Utilisé avec hypocrisie pour affirmer sa supériorité. Comprenez : «Je ne suis pas ignorant, moi, vous non plus j’espère…». En plus, on vous met dans le coup alors que vous n’avez rien demandé. A noter quand même que la variante erronée «Vous n’êtes pas sans ignorer» semble avoir disparu.
Y a qu’à…
Comprend des nombreuses variantes : «Vous n’avez qu’à» , ou pire «Vous n’aviez qu’à». Sans commentaires. L’expression devrait être interdite par la loi.
Je reviens vers vous
Formule commerciale utilisée systématiquement par les banquiers, les assureurs, et tous ceux qui en veulent à votre argent. Semble avoir une durée de vie importante.
Voilà
Une véritable épidémie, qui ronge le pays depuis longtemps et ne semble pas vouloir disparaître. Tous n’en meurent pas mais tous sont atteints. Marque prématurément la fin d’une phrase et permet de ne pas développer. A rapprocher de «tu vois ce que je veux dire». Particulièrement insupportable.
Soigne-toi bien
Vous sortez blême de la visite médicale. L’Hippocrate de service est resté muet, vous devez attendre des résultats. Vous faites part de votre angoisse au vieux copain rencontré par hasard. Il vous quitte avec une claque dans le dos «Allez, soigne toi bien !». Conseil vraiment utile : cela vous évitera de sortir à deux heures du matin un 3 janvier alors que vous êtes cloué au lit avec une angine blanche.
Vingt ans déjà ! (ou trente ou quarante)
Formule chère aux journalistes chargés de commenter un anniversaire, de quelque type et de quelque durée que ce soit. Aussi répandu et éculé que «la cerise sur le cadeau» ou «la face cachée de l’iceberg». Pourquoi donc ce «déjà» ? Il semblerait que rien d’important ne se soit passé dans la vie du locuteur depuis l’événement en question.
Vous n’avez pas changé
C’est paraît-il un compliment. Pour certains, ça peut être une insulte.
Je dis ça, je dis rien
Eh bien si, justement.
Gérard Goutierre
Cette petite mise au point est salutaire. Mais que faire contre l’air du temps?
Très juste ou si vous aimez mieux, très drôle.
Et l’épouvantable « en fait », qui ponctue parfois tous les trois mots les phrases de gens pas du tout incultes. Je me surprends moi-même à le dire (un gage à chaque fois).
Je trouve que le pire tic du langage depuis ces 5 dernières années est « du coup »…j’ai envie de tordre le cou à toutes ces personnes qui l’utilisent parce qu’elles préparent une phrase et qu’elle réfléchissent à ce qu’elles vont dire. J’en peux plus !!!