On ne sait jamais où peut mener le fil familial que l’on choisirait un jour de prendre à contresens. Ce faisant, en marchant sur les traces de son grand-père, François Malye a découvert un versant peu connu de la première guerre mondiale. C’est à dire cette avant-dernière année de conflit, en 1917, durant laquelle des officiers étrangers sont partis aux États-Unis former l’armée américaine, avant qu’elle n’affronte les subtilités ineffables de la guerre moderne qui en Europe, avait pris rendez-vous avec l’histoire.
Longtemps l’Amérique, dont l’armée était peu nombreuse, s’est tenue à l’écart du conflit mondial. À part quelques aviateurs volontaires en 1916 dont une petite ville de la banlieue parisienne conserve la mémoire (1), ce pays encore assez neuf entretenait ses distances. Sa déclaration de guerre à l’Allemagne en 1917 devait tout chambouler jusqu’à aujourd’hui.
Journaliste au Point, François Malye a donc remonté le cours de l’histoire et singulièrement celle de son grand-père Jean, lequel, après s’être battu dans les tranchées, a été désigné comme instructeur aux États-Unis avec 300 officiers et sous-officiers français. Débarqué à New York, il rejoint Camp Beauregard en Louisiane. Il y découvre un échantillon d’armée absolument pas préparé au combat, dépourvu de matériel et peu enclin à la discipline.
François Malye y est allé quelques dizaines d’années plus tard. Entre son déplacement et son enquête parmi les archives qu’il a pu fouiller, il nous fait entrer dans cette histoire méconnue qui d’étape en étape, allait participer à édifier l’hégémonie américaine que l’on connaît aujourd’hui. Mais en 1917, on a du mal à imaginer par exemple que l’aviation française était en nombre la première au monde.
L’auteur nous raconte le périple de ces invités de dernière minute et les trois premiers morts américains, juste un an avant l’armistice de 1918. Au final 116.000 de ces boys périront sur le sol de France, chiffre auquel il faut ajouter quelque deux cents mille blessés. Leur armement est français mais le métal utilisé est bien souvent américain. Ils finissent par adopter le casque Adrian à force de voir périr de blessures à la tête des soldats seulement couverts d’un chapeau ou d’un képi. Ce casque, nous rappelle François Malye, est l’invention du polytechnicien Louis Adrian. Grâce à lui nous dit-il encore, le nombre des blessures à la tête sera divisé par trois. Il faut bien des victimes pour enfin tirer quelques leçons pratiques. Ce sont aussi les soldats américains qui apporteront via le port de Brest une grippe que l’on a longtemps crue espagnole et qui fera des millions de victimes supplémentaires chez les militaires (la moitié des pertes américaines) avant même -dans certains cas- qu’ils aient pu combattre.
François Malye nous décrit ces sammies (par référence à l’oncle Sam) qui compensaient « leur inexpérience par leur ardeur au combat ». Cependant, ceux de la 39e division formés par son grand-père, n’ont finalement pas combattu. Ils ne débarquent en France qu’au mois d’août 1918, quelques semaines avant que les 29.348 canons alliés se taisent enfin.
L’un des intérêts du livre de François Malye est d’une part de nous fournir un assez large éclairage à partir d’éléments parfois terre à terre mais singulièrement édifiants et de nous donner à connaître la personnalité d’un seul homme, son grand-père, dont une note dira que de toutes les missions souvent dangereuses qu’on lui avait confiées, il s’en était iré en faisant preuve d’un « tact parfait ». Le livre ne dit pas sur ce point, si Jean Malye aura transmis cette valeur essentielle dans les moments difficiles, aux boys qu’il était chargé d’instruire. Quant à l’auteur il est bien possible, on le devine entre les lignes, qu’il en ait été l’un des récipiendaires.
PHB
(1) L’histoire de l’escadrille La Fayette sur les Soirées de Paris
« Camp Beauregard » François Malye Les Belles Lettres 21 euros
Ce qui rappelle le rôle des Amérindiens dans les tranchées et le roman splendide de Boyden « le chemin des âmes »