Vivaldi sur un tapis volant

Au 18e siècle la question des droits d’auteur n’était pas aussi sensible qu’aujourd’hui et l’emprunt ne choquait pas. Quand Vivaldi crée son opéra « Dorilla in tempe » en 1726, il s’inspire d’airs existants avec l’allégresse surdouée qui lui est propre, y compris en pompant dans son propre répertoire. Dans les 21 airs que contient une réédition de « Dorilla in tempe » à paraître le 1er décembre chez le label naïve, huit sont des emprunts (1). Cette précision posée, cet opéra opus 15 est une pure merveille .

En l’occurrence, il est bien difficile de cacher sa joie. L’ensemble est dirigé par Diego Fasolis. Les formidables voix féminines sont celles de Romina Basso, Serena Malfi, Marina de Liso (pour les mezzo soprano), Sonia Prima (contralto) et sans compter le baryton Christian Senn. L’alibi de cette fête musicale repose sur une intrigue pastorale racontant les tribulations amoureuses de Dorilla dont la destinée nous dit-on « ressemble à celle d’Andromède secourue par Persée ». Cette fresque pastorale à épisodes à été jouée plusieurs fois du vivant de son compositeur, en 1728 à Venise, en 1732 à Prague et une ultime fois en 1734, au Teatro Sant-Angelo, le camp de base de Vivaldi. C’est cette dernière version qui vient d’être gravée par la maison Naïve. Vivaldi a composé des opéras jusqu’en 1739 soit deux ans avant son décès à Vienne.

Avec Antonio Vivaldi, peu de préliminaires, d’emblée la nacelle s’envole. Durant les deux premières minutes qui font la symphonie d’ouverture, tous les amateurs du maître se sentiront chez eux et rassurés. Car il apparaît évident que le chef n’a pas cédé à une mode relativement récente -et douteuse- qui consistait ralentir exagérément, à faire crever d’ennui une mandoline, le rythme de la musique baroque. Il y a même eu a contrario des accélérations tout à fait dommageables comme si plus personne n’était capable de trouver la bonne mesure. Disons-le, la prestation de Diego Fasolis à ce sujet est parfaite. Cette maîtrise qui s’annonce dès le début de l’album procure un mélange de décontraction et de concentration qui font de l’ensemble un transport cérébral des plus convaincants.

L’un des morceaux de bravoure de cette affaire commence par un air bien connu des Quatre Saisons (« Le printemps ») mais tout le bonheur qui en résulte s’explique par sa reprise en chœur. Nous voilà caracolant en diligence musicale vers une certaine extase avec un cocher qui visiblement, n’a pas bridé ses destriers. Un enchantement de trois minutes pour lequel il nous faut prier qu’un communicant mal avisé n’en fasse un jour une publicité pour des serviettes hygiéniques, un dévoiement qui s’est hélas plus d’une fois produit par le passé, pour des produits variés. Rien que d’en parler on tremble.

Dans cet album tout n’est que finesses et hautes volées instrumentales, avec des interventions vocales qui filent de performances en prouesses. Quel monde merveilleux que ce mélodrame dont l’histoire intrinsèque importe finalement assez peu. C’est dans les années vingt que l’on a retrouvé des manuscrits autographes de Vivaldi parmi lesquels on décomptait pas moins de 21 opéras au milieu de 24 partitions. On l’aura compris, ce « Dorilla in tempe » est une aubaine, un tapis volant, une addition de séquences précieuses, une succession d’instants musicaux savamment colorés, un déroulé céleste.

PHB

Vivaldi édition volume 55, prix public: 24,99 euros (naïve)

(1) Trois sont de la main de Hasse Mi lusinga il dolce affettoSaprò ben con petto forte et Non ha più pace, l’un est signé de Domenico Sarri Se ostinata a me resisti, un autre de Leonardo Leo Vorrei dai lacci sciogliere et trois de Giacomelli Rete, lacci, e straliBel piacer saria d’un core et Non vo’ che un infedele. (Notice de l’éditeur).

Et aussi: Vivaldi par Bach

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Une réponse à Vivaldi sur un tapis volant

  1. Bruno Sillard dit :

    Le drame pour Vivaldi fut que l’on relégua les Quatre saisons au rang des musiques de fond pour restaurants. Bien injuste critique, je tiens pour ma part Vivaldi au niveau de Mozart au registre des émotions. Piochez au hazart dans les catalogues internet.

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