La carte postale d’Oran

Selon le cachet de la poste, celle-là a été expédiée d’Algérie le 3 janvier 1916. Guillaume Apollinaire avait choisi une carte représentant « La prière du chamelier » sur fond de désert. Alors qu’il profitait d’une permission auprès de Madeleine Pagès, l’infatigable correspondant continuait d’entretenir par voie de plume ses relations d’avant-guerre. La carte postale, adressée à la poétesse Mireille Havet, a été adjugée le 3 avril 700 euros, au cours d’une vente aux enchères qui a vu se disperser nombre de pépites liées à l’écrivain.

Apollinaire fréquentait avant 1914 la famille Havet qui habitait dans le 16e arrondissement. C’est au cours de ses visites qu’il fit la connaissance de la toute jeune Mireille, jeune femme originale qui se destinait à la poésie. Il l’a qualifiera de « gonzesse de premier ordre« . Et comme souvent avec d’autres, le futur artilleur lui donnera un coup de main, en publiant un de ses textes dans la revue qu’il dirigeait encore en 1914, Les Soirées de Paris.

Mireille Havet savait user de son charme et peut-être Apollinaire s’est il d’abord laissé séduire par sa grâce un peu malicieuse avant deviner assez vite qu’elle était surtout attirée par les femmes. Née en 1898 à Médan, Mireille Havet est morte jeune, en 1932, des suites d’un délabrement physique notamment dû à sa toxicomanie. Son journal intime n’a été retrouvé qu’en 1995.

Sous le marteau du commissaire priseur a d’abord été adjugé lundi 3 avril un manuscrit comportant sept calligrammes (poèmes graphiques) d’Apollinaire, à l’origine publiés comme idéogrammes lyriques dans Les Soirées de Paris de juillet-août 1914. L’on suppose que ce manuscrit a pu être remis à Mireille Havet cette année-là lors d’une visite de la jeune fille chez l’écrivain. Symptomatiquement, le manuscrit en question comporte sous la plume de Mireille Havet, cinq fois le mot « suicide« . Un acheteur a obtenu le document par téléphone pour 7000 euros, soit un prix sensiblement au-dessus de l’estimation.

Lettre à Mireille Havet. Photo prise lors de la vente

Une des pièces les plus intéressantes vendues ce jour-là est une lettre adressée à Mireille Havet le 3 janvier 1915 alors que Apollinaire suivait encore son instruction d’Artilleur dans la caserne de Nîmes, après une permission de trois jours à Nice. La missive comporte un dessin où il se présente comme un artilleur à cheval: « Je vous envoie écrit-il, mon portrait approximatif avec mon étui à revolver, mon sabre, mon fouet, mon cheval et un canon« . Tout ça « est épatant poursuit-il,  et s’il me tarde que ce soit fini, c’est plutôt à cause de mes amis et de la liberté qui manque un peu aux simples soldats, car sans ça c’est épatant d’être militaire et je crois que c’est un vrai métier pour un poète« .

Cette jolie lettre s’est envolée pour 9500 euros par un acheteur présent dans cette salle des ventes en périphérie de Vendôme. Il est à noter que chaque document est parti au-dessus de son estimation. À l’exception notable d’un feuillet d’épreuve signé de « Case d’Armons » qui a été cédé pour seulement 1700 euros, alors que la rareté de cette œuvre assemblée dans les tranchées avec les moyens du bord et tirée à seulement 25 exemplaires, s’échange couramment à des prix stratosphériques (1).

Le portrait du poète réalisé par Irène Lagut, personnage essentiel de ces années-là (compagne de Serge Férat directeur artistique des Soirées de Paris, femme que Picasso n’ayant réussi à courtiser tentera d’enlever avant qu’elle ne se constitue « prisonnière », par ailleurs amie de Jacqueline Apollinaire…) valait le dérangement. Exécuté à l’encre, il est ceint de la mention « Bonjour ô mon poète, je me souviens de votre voix« . L’acheteur a bien fait d’attendre que toutes les poches des enchérisseurs se vident car il a pu l’obtenir pour 1500 euros ce qui n’est pas grand-chose eu égard au marché et à la riche histoire de l’auteur. Apollinaire lui avait composé un bel acrostiche à partir de son prénom ainsi qu’un calligramme pour une exposition.

Quant à la carte postale elle a suivi un vrai trajet, d’Algérie au Loir et Cher, une réexpédition à Paris et, de zigzags en zigzags, elle fait actuellement une pause méritée à la rédaction des Soirées de Paris, calée contre un autographe de l’ami André Billy. Sauf celles qui sont conservées dans les musées ou les bibliothèques, les lettres adressées par Apollinaire continuent leur trajet stellaire, commencé il y a maintenant plus de cent ans.

PHB

(1) A propos de « Case d’Armons »
(2) A propos de la « Correspondance générale d’Apollinaire » par Gérard Goutierre

La carte postale d’Apollinaire à Mireille Havet. ©Collection PHB/LSDP

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2 réponses à La carte postale d’Oran

  1. Barbara Meazzi dit :

    Merci pour cet article! Auriez-vous pris une photo du portait peint par Irène Lagut?

  2. Ping : L’Algérie d’Apollinaire en 2017 (seconde partie) | Les Soirées de Paris

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