Un jour de 1917, Pablo Picasso se balade dans les rues de la cité antique de Pompéi. Il ramasse une feuille de laurier et inscrit dessus : «A mon ami Guillaume Apollinaire/POMPEI/Picasso/1917», avant de lui adresser. C’est l’un des plus dérisoires objets présentés à l’exposition qui vient de débuter au musée de l’Orangerie et consacrée à l’univers du poète. Contrairement aux souvenirs qui sont «cors de chasse dont meurt le bruit parmi le vent» ainsi que l’écrivait Apollinaire, celui-là a été conservé jusqu’à nous, résumant toute une amitié sur quelques centimètres carrés. (Ci-contre: portrait d’Apollinaire par Matisse. Photo: PHB/LSDP)
On serait presque tenté d’aromatiser une infusion avec cette feuille et de la boire tel un breuvage vaudou. Elle peuplerait peut-être nos songes d’une geste littéraire et artistique ébouriffante d’inspiration qui traversa la vie des deux hommes entre entre 1905 et 1918, quand ils n’en étaient pas eux-mêmes les acteurs ou instigateurs. Intitulée «Le regard du poète», l’exposition se limite à une séquence comprise de 1902 à 1918, année durant laquelle Guillaume Apollinaire est fauché comme tant d’autres, à 38 ans, par une épidémie de grippe espagnole.
L’idée est venue à Laurence des Cars commissaire de l’exposition, il y a deux ans, à partir d’un trou dans la programmation du musée. Le travail qui a été réalisé avec le concours d’experts rigoureux, dans cette belle enceinte de l’Orangerie, est impeccable. Il n’est pas exhaustif parce qu’il est le produit d’une inspiration et que dans cet ordre de choses, une nomenclature exhaustive de tous les faits et gestes du poète eût sans doute été plate et indigeste. Cependant on pourra déplorer sauf erreur, l’absence du caricaturiste Marius de Zayas, parmi tous les artistes retenus ayant peuplé l’annuaire personnel de l’écrivain. Mais on peut quand même se féliciter d’un foisonnement exceptionnel de créateurs réunis pour l’occasion et destinés à tracer à grands traits une époque singulièrement féconde, qu’Apollinaire a commentée et accompagnée avec un talent de visionnaire peu contesté. Cité par Laurence des Cars dans l’album de l’exposition, André Breton disait de lui: « non content d’appuyer les entreprises les plus audacieuses de son temps, il avait éprouvé le besoin de s’intégrer à elles, de mettre à leur service tout ce dont il il disposait de haut savoir, d’ardeur et de rayons », évoquant plus loin une capacité « d’arpentage mental » unique depuis Baudelaire.
Matisse, Derain, Picasso, Chirico, Duchamp, Delaunay, Gleizes, Rousseau, Laurencin, Juan Gris, Fernand Léger, Francis Picabia, Georges Braque, Jean Metzinger, Serge Férat, Cézanne, Chagall, Max Jacob… ils sont presque tous là, il n’y aurait plus qu’à dresser en leur honneur une table pour un de ces fameux banquets dont tous étaient peu ou prou coutumiers. Ce serait incidemment prendre un risque de dommage collatéral d’ailleurs, puisque la moquette qui garnit le sol de l’exposition elle-même, est inspirée par la peinture de Delaunay.
Un peu de nombrilisme ne faisant pas de mal, les visiteurs remarqueront que Les Soirées de Paris sont à peu près partout, notamment dans une toile de Picasso réalisée en 1912 et publiée dans cette même revue en novembre 1913. Une version numérique numérique des Soirées est du reste présente dans la scénographie. A noter que tous les numéros sont également consultables sur Gallica, le site de la BnF.
Les images de l’appartement d’Apollinaire extraites d’un documentaire réalisé par Jean-Marie Drot, un touchant « Autoportrait et poème » d’Apollinaire rêvant à Lou, un portrait de Serge Férat, une sculpture de Picasso se représentant en «Oiseau du Bénin» ainsi que l’avait dénommé Apollinaire dans un de ses livres, le parcours de l’exposition est jalonné de surprises qui accrochent l’attention et entretiennent la curiosité. Non exhaustive on l’a dit, cette manifestation a néanmoins rassemblé suffisamment d’éléments-clé, pour que l’on puisse reconstituer la trame très riche d’une histoire qui continue de nous envoyer maints échos. «Le regard d’un poète» se confond dès lors avec le nôtre. Avec le très bel et très riche album de l’exposition, il est également loisible de prolonger le plaisir bien au-delà. Et le tout, en attendant la parution toute proche chez Gallimard, de la correspondance entre le galeriste Paul Guillaume et l’écrivain. La fête n’est pas terminée.
PHB
« Le regard du poète » jusqu’au 18 juillet musée de l’Orangerie
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Une curiosité musicale réservée aux lecteurs des Soirées de Paris
Eh oui il ne semble pas qu’Apollinaire ait raté le moindre inventeur de l’art moderne, et on se dit qu’il a eu bien de la chance de vivre à ce moment là et ne de rien en perdre.
On se dit aussi et s’il vivait à notre époque, qui aurait-il à découvrir?
Je lui ai trouvé un vague air de Puccini sur son portrait-photo, ce qui n’est pas un mince compliment!
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