Le contrôle de la presse dans les yeux du crocodile

Le dernier numéro de RSF. Photo: PHB/LSDPIl manque quelque chose au dernier numéro de Reporters sans Frontières (RSF) entraîné par son moteur éditorial habituel, soit « 100 photos pour la liberté de la presse ». Oui, il manque un encadré sur la démarche de 28 députés socialistes qui dans la foulée des attentats du 13 novembre, ont voulu déposer un amendement visant au contrôle de la presse dans le cadre de la réforme de la loi de 1955 sur l’état d’urgence.

Cette initiative malheureuse pour ne pas dire autre chose, avait finalement été écartée par le ministre de l’intérieur, non pas pour des raisons morales mais pour des motifs techniques : «Chacun comprend, avait-il dit, que le contrôle n’a plus de pertinence dans le monde d’abondance médiatique qui est le nôtre, dès lors que l’information circule en permanence sur Internet».

Emmenés par la députée et vice-présidente de l’Assemblée nationale Sandrine Mazetier, les députés PS, n’en démordaient pourtant pas, évoquant les attentats du 13 janvier 2015, dénonçant les mauvaises « pulsions » des médias (BFM et le suivi de l’Hypercacher, la couverture du Point montrant un policier abattu), tempérant seulement leur propos avec un contrôle de la presse qui serait « assorti d’infinies précautions »: tu parles Charles. Les 28 élus de la Nation avaient également sorti le joker habituel, quand on on veut détricoter les libertés, qui commence par un « au nom de » et cette fois exprimé de la sorte : «Cette disposition ne donne pas lieu à un contrôle systématique, elle ouvre une possibilité qu’il serait dommage de supprimer alors qu’elle peut participer à la protection de nos concitoyens». La tentation d’avoir des journalistes aux ordres est toujours là, sous-jacente, à fleur d’eau comme une paire d’yeux de crocodile. Manquait le prétexte.

Dans ce même numéro, RSF, pointe très justement les dérives étatiques à l’encontre de la presse que ce soit en Egypte, en Equateur, en Azerbaïdjan ou en Colombie. Dérives il est vrai nettement plus violentes, mais le « contrôle » des médias est toujours le maître mot, le signe de reconnaissance des censeurs. Ah si les journalistes ne pouvaient poser que les bonnes questions, ne  filmer ou ne photographier que les bonnes images, n’écrire que des compliments voilés en critiques astucieuses. Un doux rêve partagé par de nombreux responsables, bien au-delà de ces 28 députés qui rataient là une bonne occasion de réfléchir, en cela qu’ils s’apprêtaient à offrir un beau complément de victoire aux terroristes.

On daube toujours sur les Etats-Unis mais c’est bien là-bas qu’un amendement constitutionnel garantit une liberté d’expression sans nuances, certes avec ses excès mais la démocratie est à ce prix. Toujours dans ce cinquantième numéro de RSF, c’est justement John Kerry, secrétaire d’Etat américain qui déclare qu’aujourd’hui, « la liberté de la presse, symbolisée par un clavier, une caméra ou un micro, est délibérément assiégée », qualifiant le travail des journalistes de « vital ».

Le photographe Robert Capa signe les « 100 photos pour la liberté de la presse », un travail incidemment complété par le témoignage d’un soldat blessé sur les plages de Normandie en 1944 et qui se souvient de Robert Capa venant à son secours. Et n’oublions pas que numéro après numéro, RSF dresse la liste mondiale  des journalistes tués, emprisonnés, torturés, parfois tout à la fois, en sacrifice de la liberté d’informer.

Nos responsables politiques ne manquent jamais une occasion de rappeler les valeurs de la République avec, curieusement, l’omission fréquente du mot liberté. Le mot « fraternité » n’a plus guère de sens, le principe d’égalité est pour le moins fractionné au gré des nécessités, il serait bon que l’on protège davantage le premier vocable et pas seulement pour la presse. A quelques jours des attentats du 7 janvier  et de l’assassinat d’innocents dont toute une équipe de journalistes.

PHB

A lire aussi dans les Soirées de Paris : « Refuser l’entreprise de déconstruction des libertés publiques actuellement à l’œuvre est un devoir » (Martine Aubry)

Et sur Slate à propos de l’amendement régulateur

50e numéro de RSF, un témoignage sur Robert Capa. Photo: PHB/LSDP

50e numéro de RSF, un témoignage sur Robert Capa. Photo: PHB/LSDP

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4 réponses à Le contrôle de la presse dans les yeux du crocodile

  1. VAM dit :

    Voilà en ouverture de cette année nouvelle et pour Les Soirées de Paris un bien bel article sur un sujet toujours brûlant. Merci à son auteur! Liberté, liberté(s) chérie(s), à nous tous de les défendre, ici ou ailleurs.
    Très belle année aux Soirées de Paris et à tous ses contributeurs et lecteurs assidus!

  2. Effectivement un bel article pour inaugurer l’année nouvelle!

    Dans l’article de SLATE on trouve ceci en conclusion:

    Dans un classement paru début 2015 sur la liberté de la presse par Reporters sans Frontières, la France était classée trente-huitième.

    Pas de quoi être fier!

  3. Flourez BM dit :

    Merci de même.
    « … contrôle de la presse et des publications de toute nature ainsi que celui des émissions radiophoniques, des projections cinématographiques et des représentations théâtrales » dit donc la version initiale de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence. Dis donc ! ce vieil art qu’est le théâtre se retrouvait au même niveau que la presse, là où aujourd’hui il semble seulement choquer telle ou telle opinion…

    Quoi qu’il en soit, la liberté (de la presse) reste bien indivisible : soit tout le monde l’a, soit personne ne l’a car en effet, si certains l’ont et pas d’autres, ceux qui l’ont sont-ils libres ?
    Mais il est intéressant dans tout cela de voir aussi ce qui n’est pas dit : le rapport à la vérité. Cette notion est manifestement hors sujet et la liberté n’a donc rien à voir avec ? Qu’est-ce que la vérité, bien sûr ? Peu de chose sans doute au regard de la capacité d’influence que représente la presse et qui en est le véritable enjeu.

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