Andy Warhol est un habitué des cimaises. Pour ceux qui ne l’ont pas vu à l’été 2009 au Grand Palais, au printemps 2015 à Marseille (1) et cet été à Metz (pour ne citer que ces expositions), il y a en ce moment une session de rattrapage au musée d’Art moderne de la Ville de Paris (MAMVP). Quand ils programment Warhol, les commissaires d’exposition optent, bien sûr, pour une thématique nouvelle.
Et ils ont l’embarras du choix au regard de la pluridisciplinarité de l’artiste (peintre, producteur de musique, auteur et réalisateur de films, etc.). Ayant ainsi matière à décliner Warhol à l’infini ils ne s’en privent pas et l’exposition du MAM – qui s’intitule, comme pour corroborer le propos, « Andy Warhol – Unlimited » – ne déroge pas à la tendance.
A une exception (majeure) près, l’exposition du MAM ne présente aucune œuvre que vous n’ayez déjà vue (ou, loi de la série oblige, une œuvre cousine déjà vue). Vous évoluez donc en terrain connu : série des Jackie Kennedy, des chaises électriques, des fleurs, de Mao, portraits filmés (« Screen Tests »), etc. La scénographie, pensée pour captiver le visiteur, et la richesse des cartels sont en ce sens assez bien réussis.
L’ensemble évoque d’abord une exposition monographique sur l’artiste, mais une exposition partielle qui aurait été condensée. Des « bouts » de Warhol ont été ordonnés en agrégats, c’est à dire de la manière dont l’artiste concevait lui-même ces accrochages : répétant pour la banaliser la même image jusqu’à l’écœurement, juxtaposant des œuvres pour neutraliser leur charge symbolique (des vaches avec une chaise électrique, par exemple).
Le visiteur, invité à se laisser « immerger dans l’accumulation d’œuvres », passera peut-être rapidement les premières salles, saisi par une impression de déjà-vu. Ou au contraire il s’y attardera (densité de l’accrochage oblige) pour se pencher sur des détails qu’il n’avait pas encore relevé chez Warhol, comme par exemple, un aspect « fait main » dans ses œuvres : la trace bien visible de la brosse-pinceau dans les mini-portraits de Mao, les lettres imparfaitement peintes dans les premières réalisations de boîtes de soupe Campbell… Ces détails évoquent une fragilité, une hésitation, un accident. Or Warhol maîtrisait plusieurs techniques manuelles apprises et pratiquées dans sa carrière de dessinateur publicitaire. Il pouvait peindre à la main une copie à l’identique. Ne revendiquait-il pas aussi la volonté de « peindre comme une machine » ? Pourtant, Warhol laisse ici la place à l’humain et, comme à son habitude, brouille les pistes.
Passée la salle évoquant le Velvet Underground (dont l’intérêt est éventuellement musical) et celle des nuages de coussins argentés (Silver clouds) où il est tentant de lever la main pour les effleurer – cette salle est une évocation de la Factory dans les années 1960 où les parois étaient alors recouvertes de papier d’aluminium –, le visiteur se dirige ensuite vers la dernière salle qui se veut le clou de l’exposition.
Pour ceux qui ne seraient pas familier du MAM, la dernière salle est longue de plusieurs dizaines de mètres et file en courbe vers la gauche dans son dernier tiers. Spacieuse et tout en longueur, elle permet de tout englober d’un regard. Cette particularité n’a pas échappé aux conservateurs de la Dia Foundation qui ont prêté l’intégralité des « Shadows », soit 102 toiles sérigraphiées réalisées sur commande par Warhol entre 1978 et 1979. Cette salle permet de les exposer toutes et pratiquement comme l’artiste avaient conçu leur présentation, c’est à dire placées cote à cote en enfilade dans un ordre aléatoire et donc différent pour chaque accrochage. Dans cet esprit, la Dia Foundation aurait souhaité voir un accrochage aléatoire renouvelé tous les 15 jours pendant la durée de l’exposition parisienne. Ce qui n’a pas été accepté par le MAM, sans doute pour des raisons d’organisation et de préservation des toiles.
Que raconte exactement les « Shadows » ? Longtemps les observateurs ont pensé que Warhol avait produit là quelques-uns des rares tableaux abstraits de son œuvre. Pourtant, leur nom l’annonce, il s’agirait « d’ombres ». Celles qu’un appareil photo aurait saisies à la Factory et qui auraient été agrandies jusqu’à la déformation. Mais l’on raconte beaucoup de choses, alors penchons-nous sur le factuel. Les toiles de « Shadows » sont de même dimension, réalisées en dix-sept couleurs (une seule couleur par toile plus le noir) et sont accrochées à 30 centimètres du sol de part et d’autre de la salle, créant comme un tunnel graphique qui se poursuit dans la courbe au delà du visible.
L’ensemble est harmonieux, l’effet de nombre dans cette enfilade qui se perd hors de notre champ de vision est saisissant. C’était une bonne idée que de les exposer dans cette immense salle et l’on comprend mieux pourquoi les « Shadows » n’était encore jamais sorties des Etats-Unis pour être présentées en Europe. Tout cela constitue autant de bonnes raisons d’aller les contempler. Les « Shadows » s’apprécient dans leur globalité, comme une fresque dont le détail s’efface au profit de l’ensemble.
Si vous êtes relativement peu nombreux le jour de votre visite, faites un petit exercice amusant : parcourez à vive allure les 130 mètres que totalise l’accrochage de « Shadows » tout en englobant bien du regard les toiles situées de chaque coté du parcours. En principe vous vous sentirez au volant d’une voiture, ou à bord d’un train, et verrez défiler un paysage constitué de ce que votre imagination produira : arbres, toitures, clochers, maisons, montagnes, champs… C’est proprement stupéfiant !
Valérie Maillard
(1) Lire aussi
« Warhol – Unlimited », musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 11 avenue du Président Wilson, Paris 16. Jusqu’au 7 février 2016.