Quand il n’était pas encore Jacques-Henri Lartigue mais Jacques Lartigue tout court, l’un des plus fins photographes du siècle passé rêvait de pouvoir faire des prises de vues en couleur. On le connaissait surtout pour sa production en noir et blanc. C’est tout (l’immense) intérêt de cette exposition offerte par la MEP jusqu’au 23 août que de nous livrer un pan entier du travail de Lartigue, avec le plus souvent du matériel méconnu.
Jacques-Henri Lartigue, pour hédoniste qu’il fut, avait probablement des emmerdements comme tout le monde, mais avec ses appareils photos il ne retenait de la vie que les instants de bonheur. Ce qui fait qu’au delà des cadrages et du soin apporté à ses clichés, on retiendra surtout une discrète autant que raffinée approche de la vie. De sa naissance en 1894, en passant par sa première exposition en 1963 à New York et jusqu’à son décès en 1986, le photographe nous fait le cadeau de ses vacances perpétuelles, dissimulant avec élégance et sous un faux dilettantisme, le travailleur méticuleux qu’il était.
Ce diaporama généreux est une idée (faussée) du paradis que devrait être la vie. En couleur donc, l’on retrouve ses thèmes favoris où ses compagnes tiennent une place dominante : Bibi, Renée, Coco et Florette. Ce sont des bords de mer (avec la fameuse Bibi à l’hôtel Eden Roc, un chef d’œuvre d’autant plus indiscutable qu’il nous est donné en autochrome) mais aussi les vacances au ski, une course cycliste à Nice en 1954, la plage, la mer, l’automobile…
Sa vie comporte quelques moments-clés. C’est son père qui l’initie à la photographie en 1902 et qui lui offre son premier appareil soit une chambre 13 x18 à pied. Il vit dans l’aisance avant de connaître une longue période de vaches maigres. C’est grâce à l’exposition au Museum of Modern art de New York en 1963 qu’il rencontre la gloire et qu’il ajoute le prénom de son père (Henri) au sien.
Mais riche ou pauvre, Jacques-Henri Lartigue a su jouir de l’existence et la mettre en images. D’abord disait-il, parce qu’il voulait fixer, en raison d’une mémoire insuffisante, « toutes les choses » qui l’émerveillaient. A travers des dizaines de milliers de clichés, il fixait son amour des gens, de la lumière, du soleil, de l’ombre. Il prétendait être « amoureux de tout » et ses images nous le restituent tellement bien que l’on en ressent comme une irradiation bienfaisante.
Encore une fois, nombre des photos sélectionnées pour l’exposition sont inconnues ou méconnues. La polychromie représente un tiers de son œuvre. Au Rolleiflex pour le format carré ou avec son Leica pour le format 24 x36, Lartigue laisse faire son esprit perpétuellement juvénile. Barjavel écrivait en 1970 que le photographe n’avait pas « vieilli d’une heure depuis sa naissance ». Peut-être bien.
On peut envier les deux commissaires de l’exposition, Martine Ravache et Martine d’Astier, d’avoir eu à travailler la scénographie (sans faute) d’un auteur qui par ailleurs se photographiait rarement, signifiant par là que le bonheur est tout autour. Pour voir qui il était on pourra toujours descendre d’un étage voir le portrait que fit de lui la photographe d’origine australienne Alice Springs. Mais son visage muet nous renvoie à son travail ô combien revigorant.
PHB
Maison Européenne de la Photographie, 5/7 rue de Fourcy 75004 Paris. Jusqu’au 23 août.
Davantage sur Lartigue dans Les Soirées de Paris
Post-scriptum: Lors du vernissage « presse » de l’exposition, il y avait une jeune photographe qui avait choisi de revêtir pour l’occasion une robe à rayures dans le ton « Kodak ». Ce petit clin d’œil lui est dédié: