Des icônes américaines révélées au Grand Palais

Que fait-on des collections permanentes d’un musée lorsqu’il est fermé pour travaux ? Cela se produit assez fréquemment qu’un établissement ferme pour plusieurs mois, voire plusieurs années. Pendant ce temps, les œuvres dont le musée a la gestion « dorment »… ou font le tour du monde, à l’occasion d’expositions. C’est arrivé au musée Picasso de Paris pendant ses travaux d’agrandissement (1), c’est le cas du San Francisco museum of modern art, fermé depuis 2013 en raison de l’extension de son site.

Après le Moma de New York, le SF Moma est le plus ancien musée d’art moderne des Etats-Unis. Et le plus important musée d’art moderne et contemporain de la côte ouest. A sa réouverture, il accueillera la collection Doris et Donald Fisher (les fondateurs de l’enseigne de prêt-à-porter Gap), soit l’une des collections privées d’art moderne et contemporain les plus importantes au monde, réunissant plus de 1100 œuvres de 185 artistes. Les acquisitions de la famille Fisher seront exposées avec le fonds du musée de San Francisco dans la nouvelle extension.

C’est la première fois que les collections Fisher et du SF Moma sont réunies et montrées un peu partout à travers le monde, à l’occasion d’une exposition itinérante qui occupe l’aile sud-est du Grand Palais de Paris jusqu’au 22 juin. Ne vous attendez pas à une profusion d’œuvres. Ce n’est pas sur la quantité que cette exposition est intéressante, mais sur le fait qu’elle présente des artistes assez singuliers et peu exposés en dehors de leur pays d’origine. Seule une petite cinquantaine de pièces (peintures, sculptures, installations) d’une quinzaine d’artiste américains, tous ultraconnus outre-Atlantique, sont visibles. Quelques-uns de ces artistes sont familiers des Français : Alexander Calder, Ellsworth Kelly, Sol LeWitt, Roy Lichtenstein, Andy Warhol… les autres ne le sont que pour les initiés.

Oeuvres d'Alexandre Calder au Grand Palais. Photo: Valérie Maillard

Oeuvres d’Alexandre Calder au Grand Palais. Photo: VM

Parce que certains des artistes exposés sont inconnus du public français, un décodage paraissait nécessaire. Un texte, à l’entrée, et des fiches de présentation des artistes donnent quelques indications, somme toutes assez minimales, au visiteur. Est-ce suffisant pour comprendre ce qui a prévalu à la sélection de ces œuvres ? Est-ce que présenter des artistes inconnus et/ou singuliers constitue une thématique d’exposition ? Rien n’est moins sûr… Voir cette exposition ressemble davantage à la visite d’un musée. Mais soyons beaux joueurs : pendant les travaux, les œuvres du SF Moma sont visibles sans faire le voyage jusqu’à San Francisco… C’est une raison plus que valable pour en profiter.

Chaque artiste présente, en moyenne, 5 œuvres. La plupart d’entre eux sont exposés seuls en raison de leur singularité ; quelques-uns le sont à plusieurs car catégorisés dans une même mouvance artistique.

Alexander Calder ouvre l’exposition. Celui qui a introduit le mouvement dans la peinture et la sculpture, dès les années 1930, en s’appuyant sur les lois de la physique pour régler des problèmes d’équilibre et de dynamique est un artiste bienaimé des Français. Les mobiles présentés ici ne sont pas des plus célèbres, puisque réalisés dans le courant des années quarante, et c’est tant mieux. Cela permet de découvrir un autre pan de son œuvre : plus végétal, aérien, presque minimaliste.

"Red White", 1962. Ellsworth Kelly. Photo: Valérie Maillard

« Red White », 1962. Ellsworth Kelly. Photo: V. Maillard

L’espace immédiatement voisin de celui de Calder révèle un autre artiste : Ellsworth Kelly, peintre et sculpteur abstrait, dont les recherches plastiques sont proches de celle du courant minimaliste justement. Fallait-il rapprocher Calder de Kelly ? Oui, du point de vue du lien qu’ils firent entre couleur et forme, qui les a portés, chacun à leur manière, vers le volume et l’abstraction.

Abstraite aussi, mais dans un autre genre, est la production de l’américano-canadienne Agnès Martin. Ses toiles – des sortes de trames toujours contenues dans un carré – sont le résultat d’une succession de lignes tracées à main levée. Il faut s’approcher à quelques centimètres du tableau (c’est permis !) pour deviner le tremblement de cette main qui a dessiné chaque ligne (inégale, et donc unique). C’est ce que veut Agnès Martin : que le spectateur vienne au quasi contact de son œuvre pour en prendre toute la dimension. Une œuvre que l’on ne peut appréhender autrement qu’au réel et qui ne supporte ni d’être photographiée ni d’être reproduite à des fins d’édition. On y perdrait l’essentiel.

Mettre en contact le public avec sa création est aussi la volonté de Carl Andre, qui invite le spectateur à marcher dessus. Depuis cinquante ans, l’artiste élabore un mode de sculpture qui consiste à placer des matériaux bruts en relation avec l’espace qui les entoure. Il compose des installations que tout un chacun – en théorie – pourrait faire, ou défaire.

Les créations expressionnistes et abstraites de Philip Guston lui valent une très grande notoriété outre-Atlantique. Son œuvre raconte des histoires, la sienne et celles de ses contemporains. Si le peintre fait régulièrement l’objet de rétrospectives (dont l’une au Centre Pompidou de Paris, en 2000), arrêtez-vous un instant sur ses toiles, que le Grand Palais a hésité à montrer ici pour la raison que la plupart d’entre nous ne les ont jamais vues, mais qui continuent d’inspirer tout une génération d’artistes américains. Elles sont sensibles, proches de l’univers de la bande dessinée, ce qui lui a d’ailleurs parfois été reproché.

A l’opposé d’un Guston, Andy Warhol rafle la mise avec 9 toiles exposées. Elles ne sont pas toutes ultra vues, heureusement. Mais on se serait passé d’une énième sérigraphie du portrait d’Elizabeth Taylor, dont on voit un exemplaire dans chaque exposition du peintre, et qui sert (de plus !) d’affiche de l’exposition. C’est trop, et même très décalé de ce qui fait l’intérêt de cette belle exposition d’art moderne au Grand Palais.

Valérie Maillard

« Icônes américaines », à Paris, aux Galerie nationales du Grand palais (entrée galerie sud-est), jusqu’au 22 juin. Puis à Aix-en-Provence, au musée Granet, du 11 juillet au 18 octobre.

"Back view", 1977, de Philip Guston. Photo: Valérie Maillard

« Back view », 1977, de Philip Guston. Photo: Valérie Maillard

 

L’exposition est organisée par le San Francisco Museum of Modern Art, la Réunion des musées nationaux – Grand Palais et la Communauté du Pays d’Aix/le musée Granet.

(1) Lire aussi dans Les Soirées de Paris « De l’hôtel Salé au musée Picasso nouvelle ère ».

 

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