J’imagine la scène, entre «Moulin» et «Braquo», les flics font une descente dans l’enfer du jeu. C’était la dernière nuit de mai. «Police, ouvrez !». Ici la porte s’ouvre sans résistance devant un Chinois. Il n’a pas même pas le temps de se montrer amène qu’il est déjà «pinces» aux poignets. Ailleurs, peut-être aura-t-il fallu utiliser un bélier pour que la «lourde» pourtant blindée ne cède sous ses coups.
Derrière, dans le salon les mêmes réactions, vite, la panique, vite récupérer le fric même si ce sont des jetons, avant que les flics ne le jouent «tapis» façon sachets scellés. Il n’y a que des Chinois ici. Peut-être un ou deux européens qui doivent regretter ne pas s’être couchés avec Maman. Des cartes de poker éparpillées sur les tables, par terre aussi. Il y a beaucoup de femmes…
Je relis la dépêche Reuters : «Vingt-six personnes ont été interpellées à Paris et en banlieue lors d’un coup de filet contre des établissements de jeux clandestins. L’enquête portait au départ sur des tripots, installés dans des appartements et fréquentés par des membres de la communauté chinoise. Mais les enquêteurs ont découvert au fil des investigations des liens avec un réseau d’escort girls chinoises».
Je me souviens… Il y avait plus de femmes que d’hommes. « Les femmes chinoises adorent jouer« , m’avait confié le «directeur». Je me rappelle de son accent. Je me rappelle aussi de cette traversée de Paris avec Jeanne. Je m’étais arrêté devant la porte.
Devant une brasserie dont la salle était encore éclairée, trois femmes – je savais qu’elles étaient Chinoises, fumaient une cigarette. C’est marrant le cercle n’était peut-être pas réglo-réglo mais elles descendaient sur le trottoir pour en griller une.
Au-dessus de la brasserie, on trouve une salle de jeu, du poker.
Jeanne qui aimait le jeu se redressa, comme aux aguets. Jeanne m’écoutait lui raconter cette autre balade.
– Je me baladais avec une amie, c’était une autre nuit, elle cherchait un casino. Je téléphone aux renseignements, ils me donnent cette adresse dans le coin où nous nous trouvions. On arrive : rien. Une femme asiatique qui fumait une cigarette, dehors, nous indique la porte. Une porte métallique, anonyme, cachée dans un renfoncement créé par la véranda qui protégeait la terrasse du restaurant.
– Nous poussons la porte. Derrière, un escalier que nous gravissons pour nous perdre dans les étages ! Nous redescendons, demandons à nouveau notre chemin à la femme asiatique qui venait juste d’écraser sa clope sur le bitume. Elle remonte avec nous jusqu’à une porte, sans inscription. Elle sonne, entre, nous la suivons. Et là nous sommes accueillis, dans la petite salle d’entrée, par un cerbère à moitié caché par un comptoir bardé d’écrans de surveillance. Il commence par nous dire qu’il faut être parrainé pour entrer – ici, c’est un cercle de poker. «J’insiste, pour voir seulement», lui dis-je. Enfin, il appelle un directeur, un Chinois à qui j’explique que nous n’y connaissons rien ; je l’amuse sans doute et il accepte de me parrainer… expliquant au passage à ma jeune amie qu’elle ne pourra pas venir avec une autre personne que moi. Le plus drôle est que l’amie en question n’a pas compris l’allusion… !
Contrôle d’identité, photo, nous pénétrons enfin dans le lieu si secret. Nous passons par une immense salle de bar, blanc cru – tout est écrit en chinois. Deux ou trois asiatiques boivent une bière. Le directeur, très courtoisement, nous indique le chemin, et nous voilà arrivés dans une salle de jeu. Cinq ou six tables, dans un salon très style «Louis machin» on ne voyait que des asiatiques, surtout des Chinoises d’ailleurs, un Européen et nous. Un joueur quitte une table, l’Européen s’approche, un autre joueur lui passe devant, le mec ronchonne, le directeur, qui, entre-temps, s’était perché sur un tabouret de bar, lance quelque chose dans sa langue, le joueur semble protester mais, manifestement, ne soutient pas le regard du patron. Il se lève et quitte la table.
Peu après, une autre place se libère, je vais changer cent euros. Mon amie s’installe, elle connaît le poker pour avoir joué sur Internet. Manifestement, le directeur qui nous a suivis veille au grain. La personne qui distribue les cartes joue lentement, ferme les yeux quand, régulièrement, Christine oublie de miser avant de recevoir les cartes… Au début, elle gagnait même un peu, le directeur la conseillait malgré la mine désapprobatrice des autres joueurs. Inutile de te dire que, finalement, je n’ai pas revu mes cent euros. Pendant ce temps, je causais avec le directeur. C’est là que j’ai appris que les joueurs étaient des Chinois continentaux. Comme on sympathisait, il nous offre un verre, et, là, ce sont tous les regards, ordinairement très fuyants, des joueurs qui se sont dirigés vers le boss, unanimement réprobateurs.
Immédiatement, il offrit une tournée générale !
– Bravo, dit Jeanne, à peine invités, vous voilà à semer la discorde !
Je regardai les fenêtres encore éclairées du deuxième étage bien que le jour se soit levé. «À l’heure qu’il est, un plateau de croissants doit circuler.»
Quand nous sommes repartis, une nouvelle journée commençait, une femme fit un clin d’œil complice à Christine. Je lui ai expliqué, une fois dehors, que tout indiquait qu’elle était considérée comme une escort girl. Cette chère Christine a modérément accepté – pas du tout le genre de la maison !
Je regarde le papier de Reuters. « Une somme de 30.000 euros a été saisie lors de l’intervention en flagrant délit dans les cercles clandestins. Mais des fonds et des biens seront saisis en fonction des développements de l’enquête ». Selon RTL, le réseau d’escort girls impliquait un proche de l’ambassade de Chine et l’opération policière a été retardée d’un mois en raison de la visite officielle de François Hollande en Chine, fin avril. Une vraie histoire de polar, quoi.
Je me demande si ce cercle-là, fut aussi « visité ».
(Avec un extrait du roman, « Les amours turbulentes de Jeanne et Antoine »
Bruno Sillard, Editions Unicité)
Bruno, on a beau savoir que ça s’est réellement passé, l’histoire s’écrit d’une manière passionnante, on se croirait dans un vrai polar.
J’en ai la plume coupée, merci!