Paul Jacoulet, l’inconnu, flottant sur un monde inconnu

Le directeur du musée du quai Branly est convaincu de faire œuvre utile : il le dit dès le premier panneau d’accueil de l’exposition. En présentant près de 150 gravures, estampes et aquarelles de Paul Jacoulet, il rend enfin à cet artiste regrettablement « inconnu dans son pays natal » la reconnaissance qui lui est due. Inconnu, certes. Quoique, inconnu… pas de tout le monde.

Les Soirées de Paris comptent au moins trois, voire quatre, mais sans doute pas dix, lecteurs qui savent que Jacoulet est suffisamment illustre pour qu’un jour, un maire de la banlieue ouest de Paris ait convaincu son conseil municipal d’offrir à l’artiste une rue à son nom. Ceci étant, admettons quand même que ces fidèles des Soirées de Paris ne savent pas tout de Jacoulet. A leurs yeux, il n’avait même pas de prénom. Encore moins un métier. C’était juste une grimpante dénommée rue Jacoulet comme il existe tant d’autres rues gardant fidèlement la mémoire d’inconnus, dont les passants ignorent tout des morceaux de bravoure qui leur valent cette tentative de notoriété.

Bref, Paul Jacoulet, cet inconnu qui aurait pu le rester, a refait surface en bord de Seine, et ce jusqu’au 19 mai. Il faut dire qu’il n’a, de son vivant, fait aucun effort pour accéder aux cimaises des musées ou galeries dans son pays natal. Mais c’était son destin.

Oui, bien sûr, il est né en France. En 1896. Il avait tout juste trois ans quand ses parents l’ont embarqué jusqu’au Japon où il vivra l’essentiel de sa vie d’enfant et d’adulte. Il y mourra du diabète en 1960. Il n’aura effectué que quelques brèves visites à Paris.

Jeune femme de Kusaie © ADAGP, Paris 2013 Photographe: Claude Germain

En revanche, il aura voyagé sans jamais se lasser en Asie (Chine, Mongolie, Corée – où sa mère finira par s’établir), en Amérique centrale et beaucoup, beaucoup en Micronésie. Il saura très vite tout de ces îles, elles aussi inconnues de nous, comme les Marianne, les Marshall, les Caroline, … Il y sera subjugué par la beauté des êtres (et de leurs tatouages), des fleurs, des insectes (avec une prédilection pour les papillons). Et il n’aura de cesse de leur redonner vie, leur offrant toute la subtilité de l’art japonais de l’estampe, en version originale « ukiyo-e » : le monde flottant.

Oui, Paul Jacoulet flotte en toute liberté dans cet exotisme pacifique : ses œuvres ont la douceur, la précision, la grâce des techniques japonaises. Il a appris avec de grands maîtres. Il en est devenu un lui-même. Il s’est entouré de collaborateurs tout aussi exigeants que lui. Et pour cause : soucieux des nuances de chaque teinte, Jacoulet utilisait une palette de couleurs qui pouvait requérir près de cent passages d’impression pour une seule estampe. Il ne cherche jamais la diversité des thèmes : il a une prédilection pour le portrait, beaucoup de portraits, beaucoup en gros plan, mais toujours la quête du détail qui signe l’originalité. Chez Jacoulet, les jeunes filles jouent avec un scorpion, les aïeux des tribus Aïnous semblent se laisser pousser les rides autant que les cheveux, les mâles exhibent leurs envahissants et terrifiants tatouages. Très vite, on décèle que le projet est moins lisse qu’il n’y paraît.

Si peu lisse que le commissaire de l’exposition a même osé glisser un clin d’œil aux « love hotels » des grandes métropoles asiatiques où les couples préservent leur anonymat en rentrant leur voiture dans des parkings cachés de la rue par des rubans verticaux. Il faut franchir la même mise en scène pour accéder à ces estampes de l’intime où hommes et femmes arborent une nudité tranquille et libre, dont on ne saurait dire jusqu’à quel point elle est sage…

Paul Jacoulet. Avec l’aimable autorisation de Thérèse Jacoulet-Inagaki © musée du quai Branly.

L’exposition Paul Jacoulet est une surprise où l’on se laisse volontiers flotter. On peut néanmoins la quitter embarrassé de deux questions sans doute anecdotiques. La première : comment, après avoir tout adopté du Japon – le mode de vie, les techniques artistiques – et y avoir fondé sa famille et sa vie, peut-on garder une signature aussi sage, aussi conservatrice, aussi européenne ? La seconde, réservée aux quatre lecteurs des Soirées de Paris susmentionnés : pourquoi a-t-il fallu qu’une rue Jacoulet ,  là, dans cette banlieue calmissime, où il semble qu’il n’ait jamais mis les pieds, marque à ce point les souvenirs ?

 

 

 

Le Musée du Quai Branly.

Quand Jacoulet était exposé à la BnF.

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2 réponses à Paul Jacoulet, l’inconnu, flottant sur un monde inconnu

  1. Philippe Bonnet dit :

    Cette rue Jacoulet relie, à Saint-Cloud, la rue de Buzenval à l’avenue Foch. PHB

  2. DERENNE Pierre dit :

    Pour la première question, la formulation peut-aussi être : comment ne pas se diluer et s’effacer dans la culture de l’autre ?

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