Il s’est finalement décidé à pousser la porte du bureau du tabac et à demander presque à voix basse une cigarette électronique jetable « dans un bac prévu à cet effet ». Plus de dents jaunies, plus de bouche aux odeurs froides de cendrier chargé de mégots et éventuellement plus de cancer, plus de spermatozoïdes atrophiés mais au contraire des vermicules pleins de vie et rougissant de santé sous l’effet inhalé de la vapeur oxygénée, toute cette pression valait bien 10 euros…
… restait à retrouver le plaisir et à tomber sur un ersatz, un genre d’épigone, un succédané de clop avec de la vapeur qui rentre et qui sort. De loin ça fait fumeur. De près c’est assez pathétique.
Cette affaire n’est rien moins qu’un transit sociétal vers un monde meilleur. Dans les sous-sols parisiens, au fonds des cavités dans des carrières abandonnées, sûrement des chercheurs élaborent la prochaine gamme de produits de consommation dénués de toute nocivité et gorgés de précieuses vitamines pour le PIB.
Demain ou après-demain, c’est d’un pied très sûr (et donc avec les poumons assainis) que nous irons déguster par exemple, le e.cassoulet piloté par un micro-processeur de dernière génération. Souriez tant qu’il est permis de le faire. Si l’on applique à peu près les mêmes améliorations que la cigarette nouvelle au cassoulet électronique (appelons les choses comme il faudra bien les appeler), hormis les questions d’accoutumance (marginales dans le cas du cassoulet), ce seront avant tout les embarras digestifs qui seront effacés par le progrès.
Car, comme pour la cocaïne, le problème numéro un du cassoulet c’est la « descente ». Sûr que l’on pourra désormais en avaler à satiété car, dans une certaine mesure, ce sera pour de faux par rapport au vrai de naguère si vous suivez bien le raisonnement. Les oies et les canards auront retrouvé une certaine tranquillité dans leur carré gersois puisqu’avec le cassoulet vapeur, la matière comme les arômes seront parfaitement synthétiques.
Encore que sur ce dernier point ce ne soit pas tout à fait exact puisqu’il sera possible de varier ou d’accentuer les arômes avec des fragrances subtiles de type « fruits exotiques » ou «fraîcheur pinède».
L’humanité amatrice de ce plat si français se prépare des nuits d’autant plus tranquilles que le Corbières que l’on aura servi avec, sera un e.Corbières ne délivrant aucune gueule de bois, même après en avoir descendu un tonneau, de désespoir il est vrai de n’avoir ressenti aucune ivresse.
La notion de nocivité amoindrie ou même totalement évacuée ne date pas de la cigarette électronique. Il y a eu le Canada Dry des années soixante dix, (son nom sonne comme un goût d’alcool mais ce n’est pas de l’alcool disait la publicité), la ceinture de sécurité dans les voitures, les fameuses « frappes chirurgicales » des avions de chasse modernes, toutes choses visant à bannir les dégâts occasionnés par une action quelconque.
Pour faire désormais les choses à fond mais là aussi c’est probablement en cours, il reste à garnir les rues de Paris d’airbags, d’obliger les cyclistes au port du scaphandre électronique invisible et de voir enfin les choses d’aussi près qu’elles absentes, grâce aux lunettes à « réalité augmentée » qui sont tout près de nous tomber dessus vu qu’elles déjà sont en test clinique phase 1 ou 2.
Il est temps de rassembler nos affaires et de prendre le maquis tant qu’il existe encore d’autant que là-bas, si vous suivez mon regard, le tabac est détaxé, ce qui signifie qu’il nuit déjà moins à vous-même. Et puis au fond, ce qui est bon dans le tabac, c’est qu’il exhale un peu le diable. Contrairement au tout venant électronique porteur de béatitudes qui sentent tellement le trucage qu’on en fait un argument de vente !
Sympa de lire qu’il existe des « résistants ». Cependant, d’où pourrait bien venir le « débarquement » libérateur ? Dans cette attente, faites bien attention à vous Philippe. Les écrans ont des oreilles. Codez vos messages…
le jour ou la bouffe (ou la gastronomie, si on veut faire chic) aura été réduite à l’alimentation, ce jour-là sera celui où je passerai dans la e.vie !
Nous avons l’e-book, qui n’est pas si mauvais…
L’ersatz de littérature existant, elle, de toute éternité littéraire…
La scène se passe dans un restaurant.
Elle ouvre son sac, fouille, en ressort une boîte en carton. Elle ouvre la boîte en carton, fouille, elle en ressort tout un attirail de tubes en plastique, de coton, de fil électrique. Elle en ressort aussi une petite fiole. Elle refouille dans son sac, puis dans la boîte, puis: « Ah non ! »
Non son visage s’éclaire : « La voilà ». Un tube en forme de cigarette qu’elle ouvre. Elle débouche la fiole, fait tomber quelques gouttes sur un coton dedans la cigarette. Elle range la boîte de carton dans son sac. Elle porte la fausse cigarette à sa bouche, l’embout s’illumine de bleu. Un voisin de la table d’à côté se lève : « Madame nous sommes dans une zone non fumeur. ». « Je sais mais ce n’est pas de la fumée simplement de la vapeur d’eau ».
L’homme repart, je m’apprête à reprendre notre conversation… mais la lumière bleue se met à clignoter. « Oh non, dit-elle, je n’ai plus de batterie. »
Je ne fume pas, mais j’ai toujours sur moi un paquet de cigarettes.