Parce qu’elle est née trisomique, sourde et muette, les œuvres de Judith Scott appartiendraient au domaine de l’art brut, comprenez un brin mineur. Si l’on en croit la brochure elle n’aurait pas eu conscience «d’opérer dans le domaine de l’art». C’est le seul hiatus de la petite mais remarquable exposition qui est quelque sorte adressée à cette femme américaine (disparue en 2005) au sein de la sacristie du Collège des Bernardins à Paris.
Le mieux est sans doute de mettre de côté les étiquettes et de considérer les quelques œuvres exposées, issues d’une production plus importante, qualifiée d’«obsessionnelle».
Nous sommes face ici à un travail tout à fait intéressant, poétique, sensible, artistique et mystérieux. Judith Scott a enveloppé de matières tissées des objets volés, à tel point dissimulés qu’à part un skate board, il est impossible d’en deviner le contenu. Il sont là posés, ou en suspension dans l’espace, comme des intrigues.
C’est tout le mérite du Creative Growth Art Center en Californie d’avoir offert depuis 1972 à des personnes comme Judith Scott, la possibilité de développer une expression artistique. Elle y débarque accompagnée par sa sœur jumelle alors qu’elle a déjà 44 ans et une vie jalonnée d’institutions où les gens comme elles, sont plus ou moins parqués faute d’imagination ou de sollicitude suffisante.
Judith Scott cafouille d’abord dans le dessin avant d’être initiée à la technique du tissage et là, enfin, pour la première fois de sa vie peut-être, elle peut avancer et révéler quelque chose en cachant autre chose. Ses créations réclament de longues séances de travail et vont de l’abstrait à des formes crypto-organiques ou anthropomorphiques. On peut également en voir au LAM à Villeneuve d’Ascq, au Museum of American Folk Art (New York), The Intuit (Chicago) ou encore au Musée d’art brut de Lausanne sans compter quelques galeries contemporaines.
Appelée «Objets Secrets», cette exposition n’est pas sans rappeler celle, non moins intéressante, qui avait été organisée au Plateau, lieu d’art contemporain situé en haut des Buttes Chaumont dans le 19e arrondissement. Elle s’intitulait «Nul si découvert», Les Soirées de Paris en avaient fait état (1), et les œuvres que l’on avait pu y découvrir étaient des œuvres justement, parce qu’elles masquaient soigneusement leur secret. Mais ce n’était pas de l’art dit «brut». A considérer les réalisations de Judith Scott on peut comprendre à quel point la frontière entre art brut et art «normal» est au mieux subjective au pire désobligeante. Comme si Judith Scott était en quelque sorte une artiste à responsabilité limitée, en opposition aux artistes intellectuels sortis des Beaux Arts.
Dans la sacristie de ce très bel endroit qu’est le collège des Bernardins, jusqu’au 18 décembre, ne négligez pas d’aller voir ce que nous propose Judith Scott. Il est possible d’y ressentir comme un léger choc, à tout point de vue salutaire.