Sur le pseudonyme qu’utilisait Guillaume Apollinaire en 1909 il y a plusieurs témoignages. Dans un ouvrage de 98 pages paru en 1956 chez l’éditeur Pierre Cailles, l’artiste Marie Laurencin, l’une des relations sentimentales majeures de Guillaume Apollinaire, écrivit que l’écrivain avait eu l’idée «d’inventer une femme poète», Louise Lalanne.
En croisant la version d’Eugène de Montfort exprimée en 1946, dans un livre minuscule de 27 pages «pour le compte et le plaisir» de Pierre Seghers éditeur, avec l’opuscule de Marie Laurencin, on obtient une intéressante quoique subtile synthèse.
Eugène de Montfort qui dirigeait la revue Les Marges, raconte qu’à l’origine, il cherchait une femme pour écrire sur la forte éclosion des femmes écrivains et plus particulièrement sur le produit de leur plume. Il échoua à convaincre Madame de Noailles qui le reçut allongée sur un divan en se récriant qu’elle se ferait «arracher les yeux» si elle critiquait ses consoeurs. Il ne rencontra pas plus de succès auprès de Colette Willy qui lui fit savoir qu’elle jugeait «arbitraire» toute espèce de critique.
C’est alors qu’il vint à Eugène de Montfort en 1909 la drôle d’idée «d’inventer une femme» et de contacter dans cet objectif Guillaume Apollinaire dont le «talent très souple» lui était «familier». Eugène de Montfort ne se souvient pas comment le pseudonyme Louise Lalanne a été choisi. Seule explication possible mais impossible à vérifier : la ville de Nice fit venir à la toute fin du 19e siècle un certain l’abbé Lalanne afin qu’il répliquât à Cannes le collège Stanislas que devait fréquenter Apollinaire. Cette hypothèse est à prendre avec des pincettes mais…
Toujours est-il que Louise Lalanne se mit à écrire pour Les Marges et qu’il y eut même des correspondances avec l’éditeur signées sous ce nom. Sa plume dans Les Marges avait ce qu’il est convenu d’appeler du nerf et Louise Lalanne écrivit un jour que Colette Willy lui avait adressé un mot pour lui signifier qu’elle l’avait trouvée «un peu rosse».
Mais pour en revenir à Marie Laurencin et son livre, «Le Carnet des Nuits», il semble qu’Eugène de Montfort (en tout cas il ne mentionne rien à ce propos), ignorait que les poèmes que lui livrait Louise Lalanne n’étaient pas tous issus de la plume de Guillaume Apollinaire.
Constatant un jour que son compagnon avait l’air très «ennuyé», Marie Laurencin lui en demanda la raison et il lui répondit qu’il devait livrer des poèmes de Louise Lalanne, «Montfort me les réclame pour demain».
La petite histoire est que Marie Laurencin prétend lui avoir répondu : «j’ai écrit quelques poèmes certainement pas fameux, je puis aller les chercher : ils sont dans un cahier de physique du Lycée». Et d’ajouter qu’elle en reconnut trois d’elle même mis plus tard en musique par Francis Poulenc qui pensait bien avoir mis des poèmes d’Apollinaire en trilles.
Dans le numéro de janvier 1910 des Marges, Eugène de Montfort leva enfin un secret qui avait tendance à s’émousser chez les lecteurs les moins sagaces et d’écrire: «Aujourd’hui, Guillaume Apollinaire enlève sa perruque, son corsage et son jupon». Précisons qu’à peu près à la même époque il dut aussi retirer sa soutane puisque les poèmes notamment publiés dans «L’œuvre libertine des poètes du XIXe siècle» (1) en 1908 étaient signés l’Abbé de Thélème, autre faux nez. Et pour achever de simplifier les choses, l’auteur de l’ouvrage était un certain Germain Amplecas que son ami et meilleur biographe André Billy a dévoilé comme étant le pseudonyme de Guillaume Apollinaire…
(1) Réédité en 1910 et 1918 à la Bibliothèque des Curieux.
Fascinant article, merci. Je cherchais justement la vérité sur les trois poèmes de Louise Lalanne mis « en trilles » par Poulenc. Ce seraient donc des vers d’une femme après tout ?
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Il y a dans ces poèmes
le style et la papatte
de Kostro Wilhelm
comme le mélange
de l’Amour et de l’esprit