Si Beethoven m’était conté

Chaque fois, chaque année, Laurence Equilbey fait encore plus fort, en toute modestie pourrait-on dire, même si la maestra française est connue dans le monde entier depuis les années 80, à une époque où les femmes à la baguette n’existaient pas. Elle a étudié la musique à Paris, Vienne et Londres, et dès 1991, elle a fondé le premier chœur français professionnel Accentus (baroque, romantique, a cappella, contemporain). Ensuite, elle a créé sa propre phalange sur instruments anciens Insula orchestra en 2012. Et depuis l’ouverture en 2017 du vaisseau de verre et de bois de la Seine musicale posé sur la pointe aval de l’île Seguin à Boulogne (faisant pendant à celui de la Philharmonie de Paris à l’extrême Est), elle préside à la programmation de l’auditorium (classique, opéra, contemporain). Dès son premier concert, elle a imposé sa marque qui est de mettre la musique classique en scène, et on se souvient encore de cette «Création» de Haydn confiée à la Fura dels Baus, fameux collectif catalan bousculant depuis quarante ans avec ardeur et fureur les règles de la mise en scène. Projections vidéo, jets de lumière, multiples dispositifs, grue, filins, ballons, et cet aquarium au premier plan, artistes sautant, grimpant ou s’immergeant tandis que l’orchestre, les chœurs et les solistes déroulaient imperturbablement les étapes de la Création du monde. Continuer la lecture

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La muse des deux

Quelque part dans les années cinquante, Isabelle Collin Dufresne qui n’était pas encore Ultra Violet, badinait avec Salvador Dali dans la suite d’un palace new-yorkais. Après lui avoir demandé de poser nue, il entreprit avec elle une sexualité par procuration, consistant à faire circuler de sa main sur la peau de sa muse, un homard neutralisé. Au moment où le crustacé venait d’atteindre un lieu stratégique avec le visage de Dali tout près de la carapace, le téléphone sonna et, le maître relevant la tête pour répondre, dut bien constater que le homard était resté accroché à l’un des bouts de sa moustache. Ce qui fait que l’animal termina son existence terrestre en vol plané à travers la forcément somptueuse chambre du Saint-Régis, entre Madison et la Cinquième Avenue. C’est entre autres trucs marrants, ce que cette femme disparue il y a maintenant dix ans, racontait dans un livre paru en 1989. Il était titré « Ultra Violet, ma vie avec Andy Warhol », mais un assez large chapitre était consacré à Salvador Dali. Ce dernier lui disant un jour que son coude à elle était aussi « comestible que le quignon d’une miche de pain ». Elle lui rétorquant ton sur ton que ses lèvres à lui étaient aussi comestibles « qu’un grain de muscat épluché ». Mais il la corrigea en prétendant qu’elles étaient davantage comparables aux « testicules de Phidias » (artiste grec, 430 avant J.C.) qu’il était en train de peindre. Continuer la lecture

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Contre-emploi

En achevant l’écriture de sa « Neuvième symphonie » voici deux cents ans, Ludwig van Beethoven n’imaginait sûrement pas à quel point son message de fraternité serait détourné des années plus tard par le réalisateur Stanley Kubrick pour son film « Orange mécanique ». Dans ce long-métrage d’anticipation sorti en 1971, un certain Alex DeLarge domine l’intrigue. C’est un voyou dont le plaisir est de tuer et de violer en bande organisée. Le personnage principal aime par ailleurs la musique classique et principalement la « Neuvième symphonie », utilisée par fragment en guise d’illustration sonore. Il s’agit pour le moins d’un contre-emploi et en tout cas, de l’usage malsain d’une œuvre qui se voulait porteuse liberté, de joie et de fraternité. Beaucoup de critiques s’étaient extasiés devant ce film il est vrai puissant mais comment se réjouir de certaines scènes aussi dures, c’est une vraie question. La société tente de soigner la violence sadique de Alex DeLarge en le forçant à écouter la Neuvième tout en regardant (paupières bloquées par des écarteurs) des scènes épouvantables de viols ou de meurtres. Et cela fonctionne. Jusqu’à un certain moment où le jeune homme dans son bain s’estime guéri de sa guérison, puisqu’il peut à nouveau écouter la Neuvième sans éprouver de nausée. Continuer la lecture

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Compétition de choses

Chaque année bissextile, depuis 1896, se déroulent les Jeux Olympiques d’été, apothéose de la compétition sportive mondiale. Les anthropologues l’ont rapidement repéré: par son goût de la confrontation inutile, le primate humain se différencie de la bête. Et ce, dès sa prime enfance. Avant même d’avoir reçu les premiers rudiments d’éducation, depuis les temps les plus reculés, les petits garçons se mesurent entre eux pour établir « lequel qu’a la plus longue ». Les Jeux Olympiques découlent directement de cet esprit de rivalité instinctive. À cet apport près qu’à partir de 1900, aux jeux de Paris, les filles ont pu aussi participer. Certes, Pierre de Coubertin, rénovateur des Jeux contemporains estimait que leur rôle devait se borner à remettre les récompenses aux vainqueurs. Mais, depuis 2004, le Comité International Olympique ne craint pas de promouvoir, dans le sport, le principe d’égalité entre les femmes et les hommes. Cependant, l’étude de la pratique des nations ne laisse, sur ce point, aucun doute: les Jeux Olympiques placent le concours de bite dans les plus hautes sphères de la diplomatie internationale. L’histoire récente illustre amplement ce constat. Continuer la lecture

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Une partie de campagne du Quartier d’Amérique aux Buttes-Chaumont

Le retour du printemps est propice à une partie de campagne dans le 19e arrondissement. Car qu’on l’imagine ou non, il existe une enclave bucolique dans le tumultueux 19e hérissé de tours! Notre promenade aura pour point de départ le quartier de la Mouzaïa, un entrelacs de ruelles pavées (les villas) parsemées de petites maisons colorées aux jardins fleuris. Après un crochet par l’ «exotique» église Saint-Serge (ci-contre), elle aboutira aux Buttes-Chaumont. C’est à cause de ses anciennes carrières de gypse (pierre à plâtre) que ce petit territoire difficilement constructible a changé de physionomie après 1860. Déjà exploitées par les Romains, ces carrières, situées principalement dans les 18e, 19e et 20e arrondissements, occupaient autrefois 65 hectares. Celles du 19e arrondissement se concentraient dans le quartier d’Amérique soit à gros traits entre l’avenue Jean Jaurès, la rue de Crimée, la rue de Belleville et le boulevard périphérique. Le plâtre de Paris, d’excellente qualité, était non seulement destiné aux constructions de la ville mais se vendait aussi ailleurs. Une légende veut qu’il ait été exporté jusqu’en Amérique, d’où le nom du Quartier d’Amérique. Légende, réalité ? Quoi qu’il en soit l’exploitation des carrières de Paris a cessé après l’effondrement de maisons. La carrière d’Amérique, qui a été l’une des dernières en activité car le quartier n’était pas loti, ferme en 1872. Continuer la lecture

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Plus de chagrin que de pitié

Ceux qui l’ont vécu s’en souviennent encore. Le 14 avril 1971, sortait à Paris, au Saint-Séverin, petit cinéma d’art et d’essai du Quartier Latin, le film documentaire « Le chagrin et la pitié ». Alors que l’on célèbre cette année le 80e anniversaire de la Libération, la chaîne Arte a judicieusement programmé le 10 avril dernier un documentaire sur le documentaire, « Le chagrin et la pitié : la France de Vichy dynamitée », tourné l’an dernier par le réalisateur Joseph Beauregard. Mais pourquoi ceux qui ont vécu la sortie du film s’en souviennent-ils encore ? D’abord parce que l’ORTF d’alors, sous la coupe directe du pouvoir gaulliste, avait refusé de projeter le film, acheté par 27 pays et sélectionné aux Oscars. Et que ce film sur l’Occupation devint rapidement un formidable objet de controverse, pris dans les conflits post Mai 68, et sans doute aussi parce qu’il ne faisait preuve, contrairement à son titre, « d’aucune pitié », comme le souligne à l’écran le critique Samuel Blumenfeld. Ce qu’illustrent les premières images du documentaire de Joseph Beauregard s’ouvrant par des vœux de bonne année du général de Gaulle, puis des images d’émeute de Mai 68. Nous voilà fixés. Il faut dire aussi que ce documentaire témoignait d’une telle qualité dramatique que dès sa sortie et jusqu’à maintenant, on l’a toujours considéré comme un film plutôt qu’un simple documentaire. Mais qui était l’auteur de cette œuvre tranchant sur l’ordinaire des productions commerciales glorifiant depuis la fin de la guerre, soit depuis vingt-six ans, tous ces héros ayant combattu l’ennemi dans l’ombre ? Continuer la lecture

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La jolie fable utopique de Marivaux

Cette saison, Marivaux (1688-1763) est doublement à l’honneur au Théâtre du Lucernaire. Alors que “Le Jeu de l’amour et du hasard” (1730) triomphe et joue les prolongations (1), une autre comédie a pris place dans la petite salle du Théâtre noir:  “L’Île des esclaves” (1725). Cette courte fable, moins souvent montée que les autres pièces, plus longues, de Marivaux, s’inscrit, quelque 60 ans avant la Révolution française, dans la droite ligne du Siècle des Lumières. Utopique et humaniste, elle nous dépeint une société idéale dans laquelle il ferait bon vivre, aujourd’hui plus que jamais. Portée par cinq jeunes talentueux comédiens, elle nous donne à penser et à rêver… Tandis que le public s’installe dans la salle, un délicat clair-obscur, assorti d’une épaisse fumée bleutée, baigne la scène, laissant apercevoir un plateau jonché de tissus froissés, dans un camaïeu de tons beige et marron. De grands rideaux suspendus, tels les voiles d’un navire, délimitent le fond de scène. Des corps sont étendus pêle-mêle sur le sol. Puis, changement de lumières avec effet stroboscopique, pour une scène de tempête chorégraphiée, expliquant ainsi le naufrage entrevu en préambule. Continuer la lecture

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Rendez-vous chez Paul Delvaux

Quelques semaines avant l’ouverture  « officielle » de l’année du surréalisme (centième anniversaire de la parution du Manifeste du Surréalisme d’André Breton, 1924), la BRAFA de Bruxelles avait rendu hommage au peintre belge Paul Delvaux, disparu il y a trente ans, et souvent considéré comme l’une des figures les plus importantes de ce mouvement. La BRAFA (Brussel Arts Fair) compte parmi les grandes manifestations d’art européennes. La soixante-neuvième édition, présentant 32 galeries provenant de 14 pays, avait réuni 67.000 visiteurs dans la capitale belge, à quelques encablures de l’Atomium. La Fondation Paul Delvaux, créée du vivant même du peintre, en avait été l’invitée d’honneur.
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Tout sur ma mère, ma sœur et moi

Tout le monde n’a pas une mère capable de briquer un agneau vivant afin qu’il puisse faire bonne figure sur scène. Alors que la troupe était entre deux étapes d’une tournée sur le sol américain, la mère de Gypsy Rose Lee, dénicha un agneau bon pour le spectacle mais crasseux comme un peigne. Elle entreprit donc de le nettoyer dans une baignoire. Mais, effrayé, l’animal ne se laissait pas faire. Ce qui fait que la maman, qui ne reculait jamais devant rien, se déshabilla entièrement et pénétra dans l’eau pour rassurer le petit quadrupède. Mais à force de frotter, elle découvrit des taches noires qui n’étaient rien d’autre que des tiques. Elle sortit en hurlant, demandant d’une part à ses deux filles de vérifier qu’aucune tique ne s’était accrochée à sa peau et, d’autre part, d’en débarrasser l’agneau. Le spectacle burlesque auquel on le destinait comprenait également, parmi d’autres animaux, un cobaye à chapeau qui jouait de la flûte irlandaise et une fausse vache. La mère de Gypsy ayant en effet rêvé d’une vache un jour, et décidé que le songe était prémonitoire, elle en fabriqua une en tissu et carton avec deux humains pour l’animer. Moyennant quoi, devant le succès de l’assemblage zoomorphe, la troupe fut engagée à 1250 dollars la semaine.
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Un oratorio pour Ulysse

Après nous avoir émerveillés cet automne au Studio-Théâtre avec “Je reviens de loin” (1), l’auteure Claudine Galea est de nouveau à l’affiche de la Comédie-Française, au Vieux-Colombier cette fois-ci, avec “Trois fois Ulysse”. Une commande de la metteuse en scène et directrice des Plateaux sauvages Laëtitia Guédon. Trois Ulysse donc pour évoquer la figure du héros chanté par Homère (fin du VIIIe siècle av. J.-C.); le vainqueur de Troie à trois étapes distinctes de sa vie, face à trois figures féminines: Hécube, Calypso et Pénélope. L’auteure et la metteuse en scène revisitent ici le mythe sous le prisme féminin, un mythe dont les Dieux seraient absents et dont le héros est ramené à sa simple et si terrible humaine condition. De jeunes et talentueux chanteurs du chœur de chambre lyrique Unikanti accompagnent le texte de Claudine Galea, insufflant à la pièce la dimension d’un oratorio.
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